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Crotte du morning
10 septembre 2014

#2 Joehnny Dipe

J'ai eu une enfance à peu près normale, comme tout le monde, dans une famille composée de deux parents, d'une petite soeur et plus tard d'un petit frère. Nous étions une famille dite nombreuse pour les aides sociales. Nous ne manquions pas d'argent : mon père, sorti d'école de commerce, était un bourreau du travail, qui gravissait les échelons de son univers d'entreprise, changeant de boîte de-ci, de-là, enchaînant les promotions et nouveaux postes, et nous, les logements, toujours plus grands, depuis les immeubles de la banlieue parisienne jusqu'au pavillon dans les vosges, près de son usine. J'ai personnellement développé une haine (ou une peur) de cet univers assez jeune. Mon père s'absentait souvent, et quand il rentrait c'était toujours très tard. Il y avait le week-end où il mettait un polo ou un t-shirt au lieu de son costume, et il prenait tout un tas de directives pénibles pour moi, comme aller visiter tel musée, ou faire telle ballade en vélo. Directeur dans son boulot, directeur également à la maison, mais ça, seulement quand il était présent.

Son père a lui l'avait plus ou moins abandonné, sans disparaître, il avait simplement décidé de ne pas s'en occuper, et de laisser sa femme, viet-namienne, et ses trois enfants (mon père et ses petites soeurs) se débrouiller seuls. De plus, le métissage de mon père lui a valu des railleries à l'école. Il était blessé, et sa réussite professionnelle ressemblait aussi à une vengance. Il me mettait la pression pour que je suive ses pas : il grognait quand je n'étais "que" le troisième en classe, m'obligeait à faire toutes sortes de sports que je ne voulais pas faire. Un jour, que je lui tenais tête (j'avais moins de 10 ans), il m'a dit "ferme-la, quand tu gagneras ta propre tune, tu pourras la ramener."

A côté de cela, il serait injuste de réduire mon père à son emploi de dirigeant. Il était affectueux et d'une générosité sans limite. C'est simplement qu'on ne pouvait pas discuter avec lui.

Il n'était pas encore réconcilié avec son père quand il est mort. Ce jour là, mon père est arrivé dans l'escalier de notre maison à Epinal et m'a dit "je suis très triste car mon père vient de mourir". Je devais avoir 10 ou 11 ans et je lui ai répondu "mais papa, pourquoi tu es triste vu que tu ne l'aimais pas ?" Je ne comprenais pas, à l'époque.

De l'autre côté, ma mère, issue d'une modeste famille de fonctionnaires du nord de la france, n'avait aucune autorité à la maison, elle était plutôt naïve, tendre, et m'a toujours donné l'impression de faire les choses automatiquement, comme si elle ne se posait aucune question, qu'elle faisait juste les choses "comme il faut". Peut-être que c'est son éducation dans une école de fille lui a si bien incrusté dans le crâne ces façons "comme il faut". Plus tard, adolescent, je la traiterais de "robot" quand, rebelle, je serais écoeuré de sa manière d'agir si convenue, et par son incapacité à expliquer les choses. La simplicité et autres manières instinctives d'agir de ma mère ont d'ailleurs souvent été méprisés par ma grand-mère viet-namienne, intelectuelle.

Je ne me rappelle que d'un seul baiser entre elle et mon père, un jour dans la cuisine, pour son anniversaire, mon père lui a fait un cadeau et voulu l'embrasser sur la bouche comme le ferait un amoureux (sans chercher à la galocher non plus), et elle a simplement tendu les lèvres, toute raide, comme un piquet, comme un baiser obligatoire qu'elle voulait surtout le moins mouillé et le moins long possible. Peut-être qu'elle était gênée de le faire devant les enfants, mais l'absence de gestes affectueux dans sa vie, étrangère aux caresses et aux câlins, j'ai fini, en comparaison à mon père qui ne tarissait pas de baisers pour nous, par la trouver un peu froide.

Nonobstant, c'est bien sa défense à elle que je prenais lorsque ça a commencé à sentir le roussi entre eux. Il faut dire que mon père avait tout du méchant : grosse voix, autorité, force, tandis que ma mère, docile, sans résistance, accablée, était une victime toute désignée. 

L'adolescence a commencé à cogner dur sur moi : mal-être, échec scolaire soudain, déménagements forcés, un père de plus en plus dur et de plus en plus absent, une mère qui lutte avec des préados et un jeune enfant de 5 ans, mon petit frère, seule dans une ville inconnue de l'est de la france. Les hivers étaient sombres. Les étés tristes. Je vivais de plus en plus dans ma bulle. Les jeux vidéos et le heavy-metal des exutoires. 

Ma mère, de plus en plus malheureuse, a fini par me pleurer un jour dans les bras. J'avais 13 ans.

Les années allant, tout s'empirait entre mon père et moi. Le point d'orgue fut sans doute l'année de mes 16 ans, nous ne supportions tellement plus qu'il a tenter de me faire recadrer en m'envoyant à l'internat. J'étais sans doute l'élève de l'internat dont le rejet des parents était le plus flagrant car j'habitais la même ville, tandis que les autres élèves venaient quand même de villes lointaines. Mais j'étais content de ne pas être à la maison.

Je suis revenu de l'internat après que mes parents ont entendu des histoires de drogue et de couteaux. 

Ma mère a fini par ne plus vouloir dormir avec mon père - notre famille nombreuse disposant de deux appartements dans le même immeuble pour héberger tout le monde, ma mère est venue habiter avec les enfants, en haut, tandis que mon père vivait seul avec le chien, en bas, quand il était là. Le reste du temps, le chien restait seul et malheureux.

J'ai été le dernier de la famille à apprendre, vers 18 ans, que mon père avait une maîtresse depuis des années. Même mon petit frère de 10 ans alors fut au courant avant moi, et pour la simple raison que mes parents avaient très peur de ma réaction - et pour cause. Mais au fond, cela m'a soulagé : enfin je comprenais ce qui n'allait pas dans cette famille. Enfin je comprenais l'absence de mon père, l'angoisse de ma mère, et pourquoi je me sentais si déboussolé dans cet univers. 

J'ai eu mon bac (avec pas mal de retard), et je me suis tiré loin de tout ça pour faire des études à Paris.

Payant mes études, mon père a continué, plus sporadiquement, a vouloir exercer une autorité toute puissante sur ma carrière, voulant me placer dans la boîte de tel ou tel ami pour des stages, ce qui s'est rapidement affirmé comme absurde, ces derniers acceptant par politesse mais n'ayant jamais de travail réel pour moi. J'ai commencé par esquiver sournoisement (j'ai fait croire, une fois, que j'avais chopé la mononucléose pour raccourcir le stage) et puis au final, un jour, j'ai opposé frontalement mon refus, ayant une bonne excuse (j'avais trouvé un autre travail) et prêt à subir son courroux et la coupure des vivres qui allait avec. Mon père a explosé de fureur, ma mère est intervenue et l'a raisonné. J'ai pu finir les études qu'il me payait malgré tout. 

Moi qui avait été un cancre pendant tout le lycée, à présent je savais qu'il ne fallait surtout pas gâcher cette chance fragile de pouvoir obtenir un diplôme. 

Alors enfin je me suis mis à gagner ma tune, et nous avons fait la paix.

Mon père s'est remarié vers 50 ans avec sa maîtresse d'alors, qui est très gentille fait donc maintenant partie de la famille. De mon côté, je n'ai pas gardé rancune. Mes parents n'allaient pas très bien ensemble, au fond, même si le jour où mon père me l'a dit, j'étais en dépression, et cela m'a fait très mal de savoir que j'étais le fruit d'une union erronée. 

Ma mère a eu quelques compagnons mais cela n'a jamais duré. Sa pudeur a aussi fait qu'elle mettait en général un an avant de me le dire, alors, il se peut que j'ignore pas mal de choses aussi. 

Ma grand-mère vietnamienne est la seule qui est encore en vie.

 

 

 

 

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