Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Crotte du morning
21 février 2016

#28 Réflexion sur ma peur : ma première fin du monde

En juin 2014, je vécut une terrible journée. Une journée qui fut sans nul doute la plus dure de ma vie, émotionnellement parlant. J'en tire aujourd'hui un certain enrichissement, même si elle témoigne de ma faiblesse ..

Peu de temps avant, j'étais, comme parfois à l'époque, en teuf, dans un de ces gros clubs Berlinois en plein air, en compagnie de ma girlfriend Lulu, en piste pour danser toute la nuit sur de la musique Italo Disco à l'aide de pilules d'extasy - une petite habitude festive que nous partagions avec beaucoup de jeunes d'alors.

Les pilules montaient à peine lorsque mon ami arriva dans le club, à ma grand surprise, et mon grand plaisir, du moins, c'est que je crus au début. Ce qu'il se passa, c'est que le vieux Ju, un geek généralement très renseigné par les internets, nous annonça qu'il étudiait la situation mondiale très attentivement depuis des mois, et qu'il était désormais sûr et certain que tout allait partir en couille, et qu'il avait pris une grande décision, la plus grande décision de sa vie, celle de partir, et malgré son grand sourire de tazé, je le connaissais suffisamment pour savoir qu'il ne plaisantait pas, qu'il était coutumier de ce genre d'obsession (il avait déjà réussi à me faire imaginer qu'une apocalypse zombie était scientifiquement possible), et il enchaina sur le réchauffement climatique, le crash des économies et des gouvernements, et voyant que Lulu commençait à bader également, je lui demandais gentiment, mais fermement, de remettre cette discussion à plus tard, car ce soir, on était là pour faire la fête. Il acquiesça docilement et nous n'y pensâmes plus de la soirée.

Le lundi suivant, alors que je me remettais tant bien que mal de nos excès du week-end, je reçus de sa part une invitation à une projection sur la catastrophe climatique qu'il organisait dans son atelier pour le vendredi suivant, à laquelle j'acceptais de me rendre afin qu'il me dise enfin tout ce qu'il avait me dire.

Le vendredi suivant, je me rendis donc à l'atelier en vélo, sous le ciel bleu, le coeur léger. Je m'imaginais qu'il projetterait une sorte de "Une Vérité qui Dérange", le film d'Al Gore, que mon père nous avait emmenés voir au cinéma 20 ans plus tôt, sauf que cette fois j'étais habitué - comme tout le monde - à l'idée du réchauffement. Sur place, il y avait une quinzaine de personnes, plutôt détendues aussi, des gens de mon age, entre 25 et 40 ans, réunies par une langue anglaise aux divers accents, comme souvent à Berlin. Ju était au bar, je bus une bière. Des chaises et fauteuils étaient installés, je m'assis au premier rang à droite. Le film commença.

En fait, il s'agissait d'une conférence, d'un type appellé Guy McPherson, un moustachu à l'air sympa et parlant d'une manière agréable. Il commence son exposé* : le réchauffement climatique, donc, en chiffres. Là, on voit où on est depuis qu'on estime que ça se réchauffe, là, les océans, le soleil, la glace qui fond, vous le savez, mais en chiffres, ça donne ça, et ça, et là, le méthane, y'en a plein au fond de l'eau, ça accélère le réchauffement puissance 10, et donc ça va monter, mais pas de 2 degrés en 100 ans comme tout le monde le dit, de 2°C en 5 ans, et puis encore 2°C en un an, et puis 4°C par an, et ainsi de suite, en s'accélérant. Et donc on n'aura plus rien à manger avant 2025 car on ne pourra plus rien faire pousser. Et c'est irréversible. Donc avant de ne plus rien avoir à manger, tous les systèmes vont s'écrouler, d'ailleurs ils s'écroulent déjà, regardez, à force de consommer, le capitalisme a tout niqué, c'est déjà en train de s'éffondrer, l'économie, ensuite les états, le chaos, les gens qui s'entretuent dans la rue. Et alors le truc, c'est que ça ne va pas être seulement la fin de l'humanité, mais aussi la fin de la vie, car vous voyez, la terre aura tellement chauffé qu'elle ne sera plus du tout habitable. Jamais. Si vous ne me croyez pas, regardez simplement les chiffres, ils sont vrais, vérifiés. 

Puis il vire en mode philosophique : bon, vous savez, toutes les choses ont une fin, hein, entre nous, que vous alliez mourir, vous le saviez déjà non ? Alors ce qu'on peut faire c'est tous se tenir la main pour mourir le plus paisiblement possible, en disant au revoir à la vie, c'était sympa, on en a profité, bon, on a un peu tout pété, mais c'est comme ça, c'est le jeu, de toute façon on allait bien mourir un jour ou l'autre.

Bon, moi j'avais commencé une crise d'angoisse depuis déjà un moment, mais je n'osais pas sortir, j'étais au premier rang et j'avais peur du ridicule, mais finalement, je ne tenais plus, je n'arrivais même plus à réfléchir. Je me tourne vers Ju et je lui demande si je peux lui parler dehors.

Comme j'étais à côté de la porte vitrée, je n'avais qu'un pas à faire pour sortir dans la rue. Je demandais la suite des explications à Ju. Il m'explique que lui, du coup, il veut juste appréhender la fin de la meilleure façon. A l'époque, nous n'avions pas encore entendu parler de survivalisme, mais c'était un peu son idée d'alors : profiter des 10 dernières années du système pour voyager et apprendre des techniques d'agriculture, découvrir des lieux, et puis au final, se trouver un coin tranquille à la montagne, au frais, pour faire pousser des patates en petit comité en attendant la fin. En tout cas, il nous pressait de quitter la ville : ça va devenir l'enfer sur terre ici, tout le monde va s'entretuer lorsqu'on va couper l'eau et l'electricité. As-tu simplement imaginé ce qu'il se passerait si plus personne ne pouvait utiliser de carte banquaire ?

Bon, mon lecteur improbable a bien compris que je prenais tout cela très au sérieux : déjà, ce Guy McPherson était plutôt convainquant, et puis j'avais toujours eu confiance en la science de Ju, qui était un geek, et donc intelligent et cultivé, avec qui j'avais souvent de grandes conversations scientifiques. Le fait qu'il prenne une décision concrète, celle de partir, de quitter sa vie ici, était un signal incontestable de cette vérité qui me dérangeait soudainement beaucoup plus que celle d'Al Gore à l'époque.

Le film se termina ("achetez mon bouquin") et tout le monde était choqué. Nous bûmes des bières en petit comité et ne parlâmes que de ça. "Qu'est ce que tu vas faire ?" "Moi j'y crois pas complètement." "Mais si c'est vrai, je ne sais pas." "Je ne vais pas partir de la ville, je ne supporte pas la vie à la campagne. Je vais rester et me tirer une balle si ça tourne mal." Personne ne savait quoi faire.

Lulu nous rejoint après son travail et trouva cette drôle d'ambiance. J'avais bu assez de bières pour en parler avec légèreté. Nous rentrâmes et je m'endormis comme une pierre.

 

Le jour le plus dur

Le lendemain, j'ouvre les yeux tandis que Lulu dort encore. Je suis un peu vaseux de l'alcool de la veille, mon cerveau a un peu décroché à la 5ème bière, mais tout me revient en tête brutalement. Le réchauffement. Plus de bouffe ni de carte bleue. Les gens qui s'entretuent en ville. Dans 10 ans. Parce que tout le monde n'a pas arrêté de manger de la viande et de rouler en voiture. Comment je vais annoncer ça à ma mère ? Comment ma mère va survivre à cela ? Et mes amis ? Mon ami Tom qui vient d'avoir un enfant ? 

Nouvelle crise d'angoisse, même pas encore levé. Je me lève et fait les 100 pas dans l'appartement. Il fait très beau, le ciel est bleu, les oiseaux chantent, les arbres sont verts, c'est l'été. Tétanie, c'est atroce, intenable. Internet. La NASA et Stephen Hawking sont formels : l'humanité va s'éteindre très bientôt. Bref, c'est officiel et personne ne le voit. J'écris à Ju et je lui raconte dans quel état cela me met. Il me réponds immédiatement "oui, il m'est arrivé pareil. Une nuit j'ai craqué et j'ai chialé non-stop". OK. D'un côté, je suis rassuré car je ne suis pas seul à flancher, d'un autre, ça confirme encore qu'on va mourir très bientôt. 

Pourquoi moi, je suis né à ce moment là ? Pourquoi moi, vais-je voir la fin de l'humanité ? En fait, ce qui m'attriste le plus au fond, ce n'est même pas de mourir, non, non, c'est de savoir que tout sera détruit, inutile. L'art, les livres, la transmission du savoir, la beauté, l'oeuvre humaine ... Tout ça ... Pour strictement rien. Rien du tout, néant, tout sera oublié, rien n'aura existé. C'était ma seule consolation face à la mort. J'aurais préféré apprendre que je suis atteint d'un cancer en phase terminale. Mais là, l'idée de la perte de tout et de tous m'est insupportable. Angoisse permanente. Je n'ai pas assez dormi, en plus. 

Je sors, pour essayer de me calmer, je vais acheter un petit déjeuner au supermarché, il est 9h du matin, un samedi, il n'y a personne, je croise une, deux personnes dans la rue. Savent-elles ? Non, evidemment que non, elles s'en foutent, elles vont nier, ces climatosceptiques, plutôt que de changer leurs petites habitudes. J'achète quelques fruits et légumes, avec ma carte bleue, il faut bien qu'on mange pendant qu'on le peut encore, j'évite la viande pour ne pas aggraver plus la situation. Pastèque, bananes ...

Je rentre. Lulu se réveille un peu plus tard et me trouve en état de panique totale. Elle s'inquiète. Je lui parle : c'est ça, c'est la fin du monde, je supporte pas. J'ai trop peur du collapse, je ne survivrais pas. Elle essaie de me calmer, de me faire relativiser. "Il ne faut jamais perdre espoir", me dit-elle. Sauf que là, je n'ai plus une goutte d'espoir en moi. Plus une particule. Tu as vu les chiffres. 10 ans. Le méthane. C'est sûr. Plus de marche arrière possible. Nos amis. Les livres. La noirceur envahit tout.

Faute de moyens, faute de science, face à mon vortex de désespoir, ma pauvre Lulu craque en cachette, et pleure aux toilettes. Mais elle n'en montre rien, et vient me reprendre la main. Elle m'apprend une phrase bouddhiste à méditer pour que je contrôle mes émotions. Finalement, il n'y a que dehors que j'arrive un peu à me calmer, l'appartement m'insupporte. Il fait beau, nous prenons nos vélos, nous allons dans la forêt, au bord de la rivière.

Là bas, tout est insupportablement magnifique. Les gens heureux, insouciants. L'herbe, les insectes. L'eau qui coule. La beauté, la lumière. Les odeurs. Le chant des oiseaux. C'est abominable. Tout ça va disparaitre. Si seulement ... Si seulement on me disait que ce n'est pas vrai, que je fais un cauchemar. Si seulement. Je serais le plus heureux des hommes et je jure que je vivrais ma vie pleinement. Je serais prêt à tellement sacrifier pour sauver ce monde. Je serais prêt à mourir s'il le fallait, si cela pouvait servir à quelque chose. Oui, mourir, sans hésiter, je donnerais ma vie. Pour les autres, pour les livres.

Cette vision : la fin de l'humanité, est parfaitement nette, concrète, réelle, je peux la toucher des doigts. C'est comme ça, c'est tombé sur nous, notre génération. Quelqu'un devait le vivre. N'est-ce pas extraordinaire finalement ? N'est ce pas une manière inouïe de terminer son existence : en même temps que toute vie sur terre ? Peut-être même que toute vie dans l'univers ? C'est formidable, quelque part ! Sauf que non : il n'y a rien de beau, rien d'enviable, rien de positif au néant, à la mort. Non, décidemment, chaque cellule de mon corps hurle son refus, sa tristesse, sa colère, tout cela à la fois.

Lulu tente toujours de me rassurer, de me tenir la main, de répéter "il y a toujours un espoir". Elle a raison, ça ne sert à rien de ne pas avoir d'espoir. Imaginons qu'il n'y ait qu'une seule chance et qu'on la gâche par manque d'espoir ? Mais mon esprit est tourmenté, incapable de penser correctement. Je ne vois que le trou noir. La violence, la peur. Nous mangeons au restaurant, mon estomac reste globalement noué, mais je mange. Terrasse, journée splendide. Puis nous allons au bord du canal : l'eau me rassure, je lui ai dit. Quand même : je suis en train de faire une crise d'angoisse de 12 heures, ça ne m'était jamais arrivé. 

 

Nous avons rendez-vous au concert de piano de Marie. Je ne suis pas capable d'y aller, mais je laisse Lulu y aller. Je crois que je vais aller dormir un peu, je suis légèrement calmé. Je rentre en vélo. Je m'allonge et je m'endors, épuisé, vidé. Peut-être que j'ai pris un lexo, je ne m'en souviens plus. La crise est finie.

A mon réveil,

Une ou deux heures plus tard, je me sens déjà plus clair. Cette fois, j'ai plus de courage. Je vais sur internet. Guy McPherson, qu'est ce que tu m'as fait. Qu'en pensent les autres ? Et là, éclairages : je tombe sur des pages(**) le concernant, expliquant pourquoi sa démarche n'est pas scientifique, sa façon de parler jouant sur les émotions, et qu'il se situent pour tous franchement dans le rouge niveau exagération sur le sujet du réchauffement. Je lis, et relis. Ca m'a l'air sérieux. Je cherche encore. Un souffle de soulagement me traverse. J'écris à Ju pour lui parler de ce que j'ai trouvé. Pour lui dire que, sans vouloir remettre en cause sa démarche, je crois que j'ai besoin d'une tasse de déni pour supporter tout ça. 

Et puis finalement, Ju me répond qu'il est également soulagé. Quoi ? Je pensais qu'il était un peu plus fermement documenté sur sa fin du monde, pas qu'il allait la remettre en question avec deux ou trois liens ! Bref, nous nous sentons littéralement trollés, mais dans le bon sens. La fin du monde est reportée (au moins à demain, quoi). Vous avez déjà senti ce que fait une resurrection ? Moi, oui, à ce moment là. Ce qui ne change rien au fait que la situation écologique et climatique est castrophique même pour les vrais scientifiques (et surtout pour eux), mais malgré tout, je peux encore m'autoriser à nier l'extinction de la vie sur terre. 

Finalement, cette conférence et l'electrochoc qu'elle m'a provoqué ont un effet positif : me voilà à prendre l'écologie beaucoup plus au sérieux. Ma vie a quand même changé. Et je dois tenir ma promesse : je dois vivre la vie qu'il me reste aussi pleinement que je le peux.

* * *

 

* La vidéo en question est sur Youtube.

** Debunk documenté de GuyMcPherson

 

 

EPILOGUE

Aujourd'hui - Fevrier 2016, bientôt deux ans plus tard - je décide de raconter cette petite journée pour penser à autre chose, pour relativiser les diverses menaces qui planent sur nous. Car aujourd'hui, à un mois de la naissance de mes enfants, il est toujours possible de croire qu'une apocalypse est en marche. Car les états n'ont signé aucun accord pour empêcher le réchauffement. Que la démocratie perd chaque jour du terrain face aux multinationales voraces et voleuses qui saccagent tout pour le profit. Que la pauvreté progresse au détriment d'une poignée qui s'enrichissent. Que les famines liées au réchauffement commençent à s'intensifier. Que des guerres en jaillissent. Que des bombes pètent chez nous et ailleurs. Ce matin, les journaux parlaient de 3000 à 5000 tueurs infiltrés sur le continent pour nous frapper à nouveau.

J'ai peur que mes filles ne connaissent pas la liberté. Pour elles, je ne veux pas avoir ce monde à l'horizon dans les yeux. Aussi, je viens essuyer mes larmes, apaiser mes craintes, en les étalant dans ce billet. Car ma peur ne vient que de moi, pas des évenèments. Par ce texte, je l'extrais, et la consigne pour ne plus la porter.

 

Publicité
Publicité
1 février 2016

#27 - Après-Guerre

Voilà donc un mois que j'ai jeté mes dernières têtes de weed dans les toilettes, quel est le bilan ? 

Et bien, c'est sûr que l'angoisse a déjà considérablement baissé. J'ai eu quelques vagues crises - notamment, en train en gueule de bois, en cours de préparation à l'accouchement ou en réunion de travail - mais à chaque fois elle n'étaient pas aigues et se calmèrent automatiquement au bout de 15-20 minutes. Une victoire, donc, si je peux inscrire dans mon esprit que même si une crise commence, elle ne va pas durer.

Alors notons : réduction considérable de l'angoisse, absence de phases de tachychardie au coucher, absence de gueule de bois nauséeuse le matin, absence de parano insensée lorsqu'il s'agit d'aller au supermarché, absence de culpabilité, meilleure attention au travail, meilleure attention dans la musique, meilleur sommeil, meilleure disponibilité sociale.

Mais aussi : baisse de libido (temporaire, en général), tendance à picoler plus (attention), et un mal de dos assez violent et quotidien. C'est sans doute ce dernier point le plus dur ... Conséquence du sevrage ? Ou alors est-ce que le cannabis anesthésiait ce problème de dos de toute façon présent ? C'est possible. 

L'envie de fumer est rare, furtive : parfois, quand même, je rêve de croiser quelqu'un qui pourrait me vendre un petit 10 euros. Et puis j'oublie. Je suis loin de penser au cannabis tous les jours.

Bref : quand j'ai pas de matos, c'est finalement assez facile. Il faut juste garder à l'esprit que quand j'en ai, je ne me contrôle pas. Amusant : c'est ce que la plupart de mes potes me répondaient quand ils m'écoutaient, un peu admiratifs, parler de ma culture, tout en m'expliquant qu'ils ne serait pas raisonnable pour eux d'en faire autant. Finalement, nous sommes tous pareils. 

Publicité
Archives
Publicité