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Crotte du morning
21 septembre 2014

10# les facettes de la défonce

Voilà plus de 15 ans que je fume de la marijuna et cela pourrait bien continuer jusqu'à la fin de ma vie, ou jusqu'à ce que j'ai une maladie trop grave qui m'oblige à arrêter de m'en administrer. 

On pourrait dire que c'est une véritable histoire d'amour, avec des hauts et des bas, mais je pense qu'on peut plutôt parler de passion. Une véritable passion avec toute la force et le bien-être qu'elle procure, et tout le mal et la destruction qu'elle fait aussi. 

Le rapport à la drogue a des constantes mais également beaucoup de variations au fil du temps.

Les début commencent souvent par une lune de miel; avec la marijuana je dirais que j'ai plusieurs lunes de miel par an. Des périodes où l'herbe est particulièrement bonne, où la vie avec est belle, prend des airs de songe éveillé, les idées flottent dans l'air, les problèmes ont des angles arrondis, on flotte dans la joie et la sensualité au quotidien, on se lève heureux avec l'envie de recommencer, pourquoi pas, la vie est belle alors profitons-en. 

Quand j'écris "l'herbe est bonne", je ne parle pas de la qualité de la plante et de son produit, car ces paramètres sont pour moi gérés depuis longtemps. Je parle tout simplement de l'humeur personnelle et de la physiologie du moment qui feront varier l'effet.

Car si les bons moments existent et poussent à nous y accrocher, il y a aussi tout un dégradé de sensations plus ou moins agréables qui peuvent survenir, allant jusqu'au bad trip ou dans mon cas, jusqu'à la crise d'angoisse physique qui nécéssite parfois l'urgence de la camisole chimique d'un anxiolitique ou de parler à quelqu'un de rassurant. Ces moments de dégradation ultime ne sont pas forcémment entièrement dûs à la drogue, mais la drogue les amplifie très certainement. Les sensations affreuses de la panique qui envahit le corps sont complétées par celles de la honte d'être une personne qui ne se gère pas , un impotent, un handicapé, un malade, un poids pour la société, ainsi que pour les gens qui nous aiment. 

Toucher le fond a le bénéfice d'être rarement mortel (personnellement ça ne m'est jamais arrivé) et de ne laisser que l'option de rebondir. Ces révolutions sont aussi bénéfiques sur le long terme, aussi m'y suis-je habitué et les accueille désormais avec une certaine joie. Elles m'ont appris à essayer d'être le plus honnête possible, avec les autres mais aussi avec moi-même, à ne pas avoir honte d'être fragile, à affronter mes peurs.

Car l'origine de tout ça, chez moi, c'est bel et bien la peur, ou les peurs, peurs complexes et enchevêtrées ci et là dans mon esprit, prenant racines dans mon passé ou qu'en sais-je encore; certaines de ces peurs désamorcées au cours de ma vie, d'autres sont apparues, et même si globalement elles ont tendance à s'atténuer, elles pèsent lourd sur ma destinée.

 

 

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12 septembre 2014

#8 David

J'ai rencontré David à Berlin il y a deux ou trois ans, la première fois que j'ai vu ce grand beau garçon en gueule de bois permanente, j'ai été immédiatement jaloux comme on est jaloux d'un mec qui peut te voler ta copine, et puis au fil des apéros, je me suis aperçu qu'il était fondamentalement adorable et qu'il me draguait autant que les filles, d'un tempérament naturellement séducteur. 

L'autre particularité de David, c'était qu'il était un homme radicalement libre et il expliquait à chacune de ses copines que rien ne l'empêcherait de baiser avec qui il veut, et elles n'avaient qu'à l'accepter, ce qu'elles faisaient tant bien que mal. Il était naturellement empêtré dans plusieurs histoires d'amour à la fois et quand je le voyais, il était soit euphorique parce que tout se passait bien et qu'il était privilégié dans le bonheur, soit c'était compliqué et il déprimait complètement. Il buvait et se droguait allègrement pour le plaisir, travaillait comme barman et touchait des aides sociales pour vivre, il jouait et étudiait sérieusement la guitare dans son coin, bien au chaud, victime d'une maladie des os qui le torture et l'empêche de faire du sport. Il vantait régulièrement les vertus de son mode de vie hédoniste, son argument principal étant qu'un seul partenaire ne pouvait de toute façon pas apporter tout ce qu'on désirait, je peux dire qu'il était même presque proselyte.

Et je dois dire que j'étais un peu envieux de ce mode de vie plus libertin.

- - - 

Nöel 2012, pour la seconde fois de ma vie, j'ai décidé de ne pas voir ma famille pour noël, et de rester avec ma copine d'alors, Sab, et quelques amis pour un réveillon entre expatriés dans l'atelier de Juju. Pour l'occase, on s'est procurés des sucres imbibés de LSD, qu'on s'est partagés entre Sab, Camille (l'américaine, la seule non-française ce soir là) David et moi. Etaient également présents Alex, Aline (la soeur lesbienne de Juju) et Charlotte, une jeune et jolie inconnue, amie de la copine d'Aline (absente ce soir là), conviée à réveillonner avec nous. 

Nous avons dîné puis ingurgités nos cubes de LSD, une demi-heure après nous montions tous les 4 comme des idiots - ils étaient bons - moi même je me suis senti mal une petite heure, le temps de digérer le repas - puis c'est devenu "le trip typique". Ceux qui n'avaient pas pris d'acide se bourraient la gueule et Juju, dont l'acide n'a pas fonctionné, a pris de la MDMA qui trainait pour compenser sa frustration. 

La soirée était déjà bien entamé et je planais dans les hallucinations et autres idées métaphysique quand je me suis aperçu que David manquait. Ainsi que Sab. L'espace d'un moment, j'ai cru qu'ils se chopaient dans les toilettes, dans un immense moment de paranoïa dont je ne suis plus coutumier.. Mais la drogue me faisait exagérer et j'ai retrouvé mes esprits. 

En fait, j'ai retrouvé David, seul, à la cave, en train de jouer de la guitare. Il tournait le dos au canapé dans lequel je me suis affalé, et je l'ai écouté. C'était la première fois que j'écoutais Eric Satie. Je crois que je n'ai jamais rien entendu de si beau. J'ignore si c'est à cause de sa maladie mais David jouait dans une position bizarre sur sa chaise, un peu affalé, et sa guitare avait une espèce de manche en bois qui reposait sur sa hanche. Mais le plus impressionnant, c'était sa puissance respiration. Dans la cave silencieuse (et avec ma perception ameillorée par la drogue), j'entendais tous les sons en détails, le glissement des doigts sur la corde, mais sa respiration avait un rythme et donnait chair à toute la musique. Il avait l'air malade, mais tellement vivant. J'étais en transe. C'était tellement beau ! 

Je suis resté là un bon moment, il a joué plusieurs morceaux. Et puis Charlotte est arrivée, pompette, un peu comme un chien dans un jeu de quilles. Moi je trouvais ça sympa, elle avait l'air rigolote, et elle m'attirait, mais j'étais avec Sab, dont j'étais fou amoureux, bien sûr. Charlotte s'est mise à côté de moi dans le canapé, David continuant à jouer en nous tournant le dos. A un moment donné, Charlotte m'a pris par les épaules en souriant, elle a dit un truc du genre "c'est agréable comme atmosphère non?", et là, j'ai paniqué : mes pensées exagérées par le LSD se sont imaginé Sab entrant dans la pièce à ce moment là, me surprenant dans les bras de cette fille, et je me suis dégagé comme un malotru. La discussion a tourné dans un sens qui fait que j'ai pu dire d'une voix tremblotante que Sab, ici présente, était ma copine, et Charlotte a fait un petit "ho ..", qui m'a laissé penser qu'elle ne l'avait pas compris jusqu'ici. Mon attitude avec Sab était-elle si distante ? Mais le pire dans tout ça, c'est que je me sentais d'autant plus coupable que Charlotte m'attirait réellement.

Elle a demandé à David si elle pouvait emprunter sa guitare deux secondes pour jouer un truc, ce qu'il a fait, furieux, avant de lui reprendre après qu'elle ait gratté trois pauvres notes d'un air désinvolte. Elle a un peu cassé la magie, il est vrai. Après elle et Aline m'ont demandé si j'avais encore un plan drogue pour qu'elles aillent danser en boîte.

La soirée s'est terminé normalement, en fou-rires, en Camille qui faisait son américaine, en bières pour se calmer, et puis nous sommes rentrés à pieds avec Sab, en amoureux, c'était doux et j'étais content d'être avec elle. Nous n'avons même pas eu trop de mal à dormir et le lendemain n'était pas si dur. 

Sauf que, les jours d'après, je me suis remis à penser à Charlotte, à l'opportunité que j'avais dû repousser. Et aux futures que je rencontrerais. Et je pensais à David, à l'amour libre, au fait que c'était possible, que certains se disaient heureux de vivre comme ça. Et je pensais à tous mes potes célibataires endurcis, qui refusent de s'engager pour garder leur liberté de baiser. Je les ai tous enviés et je me suis dit "et si c'est ce qu'il me fallait, à moi aussi ? Nous sommes en 2013, j'ai 33 ans, je ne veux pas d'enfants, ne suis-je pas en train de passer à côté de quelque chose ?" Cela ne m'empêchait pas d'être encore fou amoureux de Sab. Nous ne faisions plus l'amour très souvent, une ou deux fois par semaine, peut-être moins, mais c'était toujours bon. Cependant, je songeais à toutes les aventures dont je me privais ...

Ca m'a travaillé à un tel point que je suis devenu un peu prostré pendant une semaine. Ce noël sous LSD avait fait entrer un ver dans mon fruit et je n'arrivais pas à le faire sortir. J'en ai parlé à Caro, ma meilleure amie, et bien que relativement freestyle du sexe, j'ai été surpris de l'entendre dire que ça ne l'intéressait pas. Moi même je savais qu'il faudrait que j'en parle à Sab à un moment donné. Le 31 décembre après midi, face à mon silence, Sab a pété un cable. "Tu n'as plus envie de moi ?" a-t-elle crié dans ma cuisine, avec tout le drame dont elle est capable. Je lui ai avoué le fait que songeais à la possibilité d'une relation libre, j'ai évoqué le modèle de David. Elle l'a evidemment très mal pris. Elle est partie en colère, blessée, sans vouloir plus discuter. 

Je l'ai retrouvée chez elle une heure plus tard, car nous attendions des invités pour le réveillon, et je lui ai dit "oublie ce que j'ai dit Sab. C'était une connerie". Et en fait, rapidement, je me suis mis à penser que, oui, c'était une connerie. Nous avons ensuite passé un merveilleux nouvel an à danser sous exta.

Sab et moi en avons ensuite reparlé, et j'ai vite compris que les relations libres se privent d'un tas de choses inhérentes à l'amour engagé. Et je tenais tellement à Sab, je savais qu'elle pouvait me contenter pleinement. C'est juste que je n'avais jamais vraiment réfléchi à cette idée de poly-amour, ou alors je m'étais toujours dit que j'en serais incapable. Quand j'ai eu pour la première fois cette idée, sous LSD qui plus-est, cela a pris une ampleur grotesque dans mon esprit. 

 

 

Je pense à cette histoire car il m'a demandé de passer à son bar hier soir, pour m'annoncer qu'il partait de Berlin. Il m'a raconté que la semaine dernière, il est allé chez ses parents vider un grenier, et il est tombé sur une pile de lettres d'une ancienne relation - sa dernière vraie relation "normale" - et il s'est rendu compte que c'était plein de bonnes choses, et que depuis il s'en faisait une idée négative, n'ayant visiblement jamais fait le deuil de celle-ci. En gros, il a compris qu'il avait choisi l'amour libre non pas par choix, mais par peur de l'amour engagé. Et ça a fait tilt dans sa tête, et il s'est rendu compte à quel point il aimait Pauline, une fille qu'il fréquentait depuis 1 an et demi, et qu'il venait de larguer définitivement deux jours avant, et qu'il fallait, en fait, qu'il la rejoigne à Lyon, pour vivre pleinement cette histoire, s'engager, et qu'il abandonne toute sa vie de libertin à Berlin, cette vie à laquelle il s'accrochait tant, qu'il défendait bec et ongles jusqu'ici. Il part dès dimanche.

Me concernant, la boucle était déjà bouclée, mais le fait que le prophète de l'amour libre lui-même décide de se ranger est plutôt réconfortant. 

Je reste cependant assez triste qu'il nous quitte, je n'irais probablement plus dans ce bar, et les vrais amis dans cette ville se font encore moins nombreux.

 

11 septembre 2014

#7 Les déménagements - 18 ans de dépression

Ma jeunesse a été profondémment marqué par les déménagements de ma famille. Mon père travaillait dur, et changeait parfois de boîte et de poste, augmentant de salaire. Il bâtissait notre famille sur un modèle : celui des 30 glorieuses, travail, famille, et argent et sécurisation pour ainsi dire. Il lui fallait donc des enfants, et il s'est trouvé une femme docile pour cela. Elle est donc devenue "femme au foyer", s'occupant de moi et ma petite soeur, tandis qu'il ramenait notre pitance, ainsi qu'un tas de jouets pour nous les gosses, et des parfums pour ma mère.

Je suis né alors qu'ils habitaient à Neuilly, mais je ne me rapelle de rien. Nous avons ensuite déménagé au Chesnay, dans les Yvelines, dans immeuble très classe moyenne, avec un square en bas, dans lequel je jouais aux billes avec les autres gosses. Un souvenir d'enfance : quand un gamin voulait remonter dans l'immeuble, il fallait qu'il appelle sa mère pour qu'elle lui ouvre la porte depuis l'interphone. C'est pourquoi, fréquemment, l'enfant criait "MAMAAAAN !" vers les fenêtres depuis la cour, et en réaction des têtes de daronne surgissaient des dites fenêtres, vérifiant s'il s'agissait du leur. Mon école était au bout du square. Je partageais un lit superposé avec ma petite soeur. C'était sympa.

Nous avons déménagé à Saint-Nom la Bretèche vers 1987, j'avais donc 7 ans, dans un standing plus bourgeois. Trop petit pour avoir pleine conscience de ces changements, j'étais content de la nouvelle maison mais j'ai été un peu déboussolé lors de ma première journée de classe, en CM1, dans cette école inconnue. Rapidement, et au fil du temps, je me suis fait de très bons amis, j'ai vécu plein d'histoires, ce village était un terrain de jeu géant et béni pour les enfants qui y circulaient en toute liberté, à pieds ou à vélo. A l'époque on ne s'inquiétait pas trop, nous allions à et rentrions seuls de l'école, j'étais tout le temps fourré dehors. Mon père m'a acheté un ordinateur, j'ai commencé à programmer. C'était le bonheur, même si des petites angoisses naturelles pour un enfant sensible m'habitaient de temps à autre. 

Mon père a été encore promu et en 1991 nous avons déménagé à Epinal dans les Vosges. Peu avant le déménagement, je commençais à avoir des humeurs étranges, à me recroqueviller sur moi-même et à chasser mes amis, peut-être dans un réflexe inconscient pour moins souffrir ... Ce déménagement a été plus dur que le précédent : une maison en bordure de forêt encore plus grande, une région entièrement nouvelle, beaucoup plus sombre, noire, pluvieuse (nous sommes arrivés pour l'automne), et j'entrais au collège, dans un grand collège privé, d'une taille plus industrielle. Pour faire passer la pilule, mon père m'a offert un chien - un golden retriever appellé Gypsy, le même que celui que j'avais tant aimé chez mon orthophoniste - et puis il a acheté un 4x4, afin de bien coller à l'image de famille idéale qu'il se faisait dans la tête. Ce déménagement a été dur pour tout le monde : ma mère a commencé à déprimer, seule, sans ami, dans ce bled paumé (préfecture des Vosges, mais région dépeuplée ..), moi et ma soeur avons cessé de jouer ensemble pour de bon avec les prémisces de l'adolescence, mon petit frère qui avait 3 ans pleurait énormément, la maison paraissait un peu trop grande, nous nous sentions tous perdus. Mon père a commencé à beaucoup s'absenter. Malgré tout, les années collège passèrent avec les amis que je m'y fit, et puis vint le lycée, lors duquel j'ai rencontré les plus précieux amis que je n'avais jamais eu, et, moi le petit timide, je commençais à goûter le bonheur d'appartenir à une bande. Je commençais à tomber amoureux de Bérangère, Laurent était mon meilleur ami (de 3 ans mon aîné, il m'aprenait énormément de choses) quand mon père, au milieu d'un climat familial electrique, a annoncé, en voiture, que nous allions partir pour habiter à Nancy, à 60km de là, ce qui sonna à mes oreilles comme le pire des châtiments qu'on pouvait m'infliger. Alors que les portes du paradis commençaient à s'ouvrir pour moi, mon père claquait violemment la porte.

60km ça ne parait rien pour un adulte peut-être, mais pour un ado pour qui les amis sont une famille dans laquelle on veut vivre, c'est l'autre bout du monde. Nous sommes arrivés à Nancy en 1996 et j'ai connu une rage sourde comme jamais je n'avais connu alors. J'étais désabusé et cela me rendit nihiliste, voire dépressif (qui s'ignore). Les premiers jours à Nancy faute d'amis, je me suis mis à traîner dehors et j'ai sympathisé avec un clochard dans une ruelle près de chez moi. Il était sympa, il a essayé de me faire croire qu'il avait fait la guerre du viet-nam. Il ramassait le tabac des mégôts par terre et se roulait des clopes avec des tickets de bus. Bref, j'étais désireux d'être crasse, de déplaire. Après j'ai rencontré tout ces amis du club Ganja, qui devinrent aussi les meilleurs amis du monde. Le "bonheur" revint, mais la rage demeurait. Puis ensuite Lily et Clarisse, mes premiers amours, un triangle amoureux. Cancre, j'ai eu mon bac avec 2 ans de retard. Je séchais beaucoup les cours, et devenu majeur, je pouvais rédiger moi même mes propres mots d'excuse pour mes absences. Vint alors l'heure de devenir un adulte. Mon père, qui m'avait forcé à faire math au lycée (alors que je me sentais l'âme d'un littéraire) me motiva pour aller faire une grande école (chère) d'informatique à Paris. En même temps, mes histoires de coeur à Nancy se sont naturellement fini en eau de boudin, et juste avant de partir, mon estimé ami Kenan m'a hurlé (complètement bourré à la Chartreuse) : "tu as fait trop de mal, va donc à Paris, et ne reviens pas". Encore une fois, je partais sur une note douloureuse, la déprime et le remords me tenaillaient.

Dégagé des mutations de mon père, je suis resté à Paris, dans laquelle j'ai déménagé 10 fois en 10 ans. D'abord, un studio minable à Ivry, mais je l'aimais bien, c'était mon premier chez-moi. La dépression commençait à résonner fort, mais je l'ignorais, et cela se traduit d'abord avec l'apparition des crises d'anxiété. On avait trouvé cet appartement en vitesse lors d'un week-end à Paris, et c'était une belle escroquerie : la moisissure rampante sur les murs (et l'odeur qui va avec) reprenait rapidement le dessus sur la peinture fraîche qui maquillait le problème, cables téléphoniques pourris, chasse d'eau qui faisait un bruit d'avion à réaction (sans exagérer), rez-de-chaussée sur cours avec vieux voisins alcooliques (calmes), mais surtout, alors que j'appellais un plombier pour régler ce chauffe-eau qui gouttait chaque nuit en me rappellant cette fameuse torture nazie, ce dernier m'expliqua qu'il fallait absolument que j'ouvre mes fenêtres car il y avait une fuite de monoxyde de carbone, toxique, liée à une mauvaise installation qu'il fallait urgemment changer. Mon propriétaire averti, des ouvriers vinrent changer le dit chauffe-eau et dégradèrent le carrelage de la salle de bain. Mon père avait un ami qui avait une chambre de bonne à louer dans le 16ème, il me poussa à déménager, ce que je fis avec plaisir. Le propriétaire d'Ivry cependant, en bonne petite raclure qu'il était, était furax et garda la caution à cause du carellage abîmé par les ouvriers. 

La chambre de bonne était beaucoup plus loin de mon école, mais la chambre, bien que plus petite, était effectivement plus agréable, sur les toits de Paris, lumineuse aussi. Cependant, le 16ème arrondissement de Paris, avec ses longues avenues vides et ses crottes de caniches nains, n'était pas spécialement funky pour les jeunes, et je n'avais aucun ami dans le secteur non plus. Toute sortie signifiait de longs trajets en bus ou en métro, et avec mon angoisse, ce n'était pas chose aisée, si bien que je ne sortais pour ainsi dire quasiment pas. Et même, rapidement, je cessai d'aller à l'école, incapable de suivre le moindre cours dans cette usine aux traitements déprimant (les élèves étant notés de manière absolue, en prépa, la moyenne de la classe ne dépassait pas 3/20 - ceci dans le but d'égrainer et de ne garder que les éléments les plus coriaces) et je restais enfermé chez moi, à voguer dans l'internet naissant. Puis, je convainquis sans difficulté mes parents de me laisser faire une école d'art appliquée (chère, mais l'argent n'entrait pas dans la composition des obstacles à ce projet), ceci aussi en suivant le modèle de ma première copine (dépressive aussi) Lily, avec qui je me retrouvais, du coup, en prépa. 

Les années passèrent et je m'accrochais à ces études d'arts appliqués qui me correspondaient effectivement beaucoup mieux. En deuxième année, je rencontrais Laure, qui, d'un milieu beaucoup plus modeste, et vivant dans un studio minable et insupportable à Nation, m'encouragea à se prendre un appartement ensemble. Ce qui fut possible, encore une fois, grâce à la fortune de mon père, qui possédait justement un 2 pièces à Montparnasse et qui venait de se libérer. Je quittais donc le lointain 16ème pour me retrouver voisin de ma grand-mère (à son plus grand bonheur) en concubinage avec Laure.

Nous avons 22 ou 23 ans. Problèmes : Laure est insupportable, dominante, me brime (et je plie, ignorant), m'empêchant de pratiquer la musique librement à la maison, m'interdisant de boire et de fumer, et ainsi etouffé dans une relation aussi étroite que malsaine, l'harmonie entre nous s'étiole, mythomane, elle me trompe avec mon fournisseur d'herbe, à qui elle brisera le coeur et avec qui, de fait, j'aurais une dispute. Ce pauvre bougre sera si traumatisé qu'il continuera d'ailleurs à m'envoyer des déferlantes de haine (par texto, car trop couard pour m'affronter lorsque je lui propose) bien longtemps après que j'ai lâché l'affaire. Evidemment, tout ça n'a pas arrangé ma dépression rampante, toujours sans que j'en ai conscience. 

Après une collocation avec un bon ami (expérience qui dégrade naturellement une partie de notre amitié), je rencontre Colombe, avec qui ça va beaucoup mieux. Nous sommes grands, nous travaillons. Après avoir eu mon diplôme de communication visuelle, et voyant des hordes de directeurs artistisques déferler dans les rues de Paris, je m'oriente vers le développement web (grâce à l'alternance), ce qui me permet de trouver immédiatement un boulot qui me plait dans une petite boîte qui commence. Le patron deviendra un ami intime pour les 10 ans à suivre. Colombe est une très chouette fille, je l'aime. Elle passe son temps chez moi, et délaisse son chat qui souffre dans son caca qui s'amoncelle dans le 18ème, à Chateau d'eau. Mais mon appartement commence à sentir le vécu, et l'idée de rester chez Papa nous empêche de devenir nous-mêmes. Nous décidons donc de prendre notre chez-nous. Pour la première fois, j'épluche le PAP de manière autonome, et nous enchaînons les visites. Nous trouvons notre nid d'amour sous la forme d'un loft dans le 11ème, près de Jean-Pierre Thimbaud - Colombe, parisienne mondaine, étant très exigeante sur la situation.

Ce nouveau départ parait magique au premier abord, et d'ailleurs, il l'est plutôt. Mais rapidement nous déchantons : le voisinage de la cour, ultra bobo-communautaire, nous étouffe avec leurs gosses, leurs apéros, leur connivence clanique. Nous sommes bien sûrs invités à toute leurs boboteries, mais nous n'avons pas vraiment envie de nous intégrer à ces joueurs de poker en ligne prétentieux, sniffeurs de mauvaise coke, paternalistes et envahissants, qui exigent qu'on vote Ségolène Royal lorsqu'on rentre chez soi, et malgré quelques efforts d'intégration, arrive le jour ou nous sommes trop taquins avec l'un d'entre eux, qui, enfermé dehors, fait une mauvaise descente et finit en larmes, ce qui nous donnera une mauvaise réputation et nous mettra toujours plus mal à l'aise avec le voisinage.

Par un coup de bol formidable, Colombe a une très bonne amie, héritière, dont l'appartement magnifique aux Buttes-Chaumont se libère. Le loyer est en plus carrément arrangeant, c'est juste l'aubaine la plus formidable de Paris, au bas mot. Après avoir fait une fête du tonnerre pour finir notre loft (que personne ne pourra nous reprocher, juste vengeance de tout ce que nous avons enduré la bas), nous emmenageons dans la joie et l'alégresse dans notre splendide 2 pièces avec vue sur tout-Paris (c'est simple, en hauteur, on voit tout Belleville, jusqu'à la tour Montparnasse et la tour Eiffel) à deux pas du parc, c'est juste le rêve. On peut dire que la première année se passe comme un rêve, j'achète des platines, nous organisons des fêtes mais les voisins osent à peine se plaindre, bref, tout va bien dans le meilleur des mondes. 

Puis les choses dégringolèrent entre Colombe et moi, pour divers motifs, personnels, relationnels ... Je ne pourrais pas nier le fait que ma dépression y fit quelque chose, mais il semblerait que Colombait couvait également ses problèmes. En tout cas, ce fut elle qui mit le feu aux poudres en me trompant plusieurs fois. Bien que nous fûmes toujours amoureux, je rompis et nous ne pouvions pas garder cet appartement : trop cher pour une personne seule, et pas du tout arrangé pour faire une collocation. Entre-temps, nous étions tout deux devenus freelance et donc relativement libre de nos mouvements. Mais ce fut Colombe qui pris la décision de quitter Paris pour aller habiter à Bruxelles - j'avoue lui avoir envié l'idée et ce n'était pas possible de la suivre - je restais donc à Paris. Quel jour déchirant fut celui ou nous chargeâmes son camion de déménagement, et ceci étant fait, les amis partirent vaquer à leurs occupations de la journée tandis que je me retrouvais seul dans notre bel appartement lumineux, mais vide et poussiéreux. 

De plus, j'étais dans l'urgence de trouver un logement. Après les galères typiques d'un aspirant locataire à Paris (avec fausses fiches de paye, complicité de mon ancien patron), je tombais sur un bienfaiteur qui fut ravi de me louer un studio avec cuisine au dessus du parc des Buttes, ne m'éloignant pas trop de mon ancien quartier, et voisin de mon ami Guillaume (dépressif). L'appartement, situé au premier, était minuscule et possédait des barreaux aux fenêtres. Lorsque mes amis partirent après m'avoir aidé à porter mes cartons, je m'assis, seul sur ma chaise au milieu de cet espace rempli à craquer, je me mis à pleurer. J'étais le prince de la ville et me voilà tombé dans une geôle en enfer.

Le pire restait cependant à venir. Outre le fait que ma dépression tapait plus fort que jamais (et des abus de drogue n'arrangeant rien, des idées suicidaires me traversèrent, une crise d'angoisse m'obligea à appeller S.O.S médecins, qui me mit sous Xanax. Je me résolus à consulter la psychothérapeuthe de mon voisin Guillaume, qui m'aida beaucoup.), chaque nuit, ma fenêtre se trouvait pile sur le rendez-vous des wesh du coin, qui passaient la nuit à s'insulter (apparemment leur seule façon de communiquer entre eux) et taper sur les poubelles, me privant de toute tranquilité. Pourtant, de jour, le quartier était très calme, bobo, plein de familles et de magasins de jouets en bois. Et la rue était calme aussi, de nuit. Sauf, pile sous ma fenêtre, en face de la Cours du 7eme art et des logements sociaux, ceci devant probablement expliquer cela. Bref, j'étais maudit, définitivement. Il fallait réagir. En gros : partir, alors que je venais à peine d'arriver. Je donnais mon préavis après 1 mois seulement, ce qui chagrina mon gentil propriétaire, qui ne comprenait pas, et j'eus du mal à lui expliquer le problème. Je prétextais une mutation professionnelle pour simplifier.

Ma carte à jouer fut l'espoir de trouver une colloc' avec Caroline, charmante fille rencontrée par l'intermédiaire d'un pote, qui cherchait aussi un logement. Nous décidâmmes de la jouer couple pour maximiser nos chances, et dans le cadre de ces recherches, nous devînmes très amis. Elle fut d'un grand support moral pour moi à ce moment là. Comme elle était jolie, je l'aurais bien courtisée, mais je m'abstins pour plusieurs raisons. D'abord, elle était trop hot et moi trop dépressif, je ne me sentais pas à la hauteur. Ensuite, l'amitié prit rapidement trop de terrain. Et enfin, ça aurait surement détruit nos chances de colloquer. Nous trouvâmes notre appartement de rêve, dans le 19ème, un peu excentré, mais ça va. Il était dispo en septembre, et je quittais mon appartement fin juin. Je réunis mes affaires - réduites à leur strict minimum - j'empruntais l'Express de mon boulot et j'allais tout entreposer chez mon père, à Meudon. 

Moi, sur le périph' ensoleillé, avec toute ma vie à l'arrière de l'utilitaire. Quelle sensation de liberté ! Je suis SDF ! Je n'aurais jamais cru que cela me procurerait un tel bonheur ... J'ai 29 ans.

Restait à vadrouiller pendant 2 mois. Le premier mois, mon ex-voisin Guillaume me prêta généreusement son appartement pendant qu'il allait voir sa copine au Canada. Je restais dans la même rue, mais les conditions étaient 100 fois différentes. Nouvelle période de recroquevillement, un peu triste, mais pas trop, car au loin le ciel commençait à se dégager.

Notamment parce que je partais ensuite 1 mois à Berlin. Très bonne expérience - même si se révelèrent, encore et toujours, de nouveaux angles de ma dépression - mais c'est effectivement frais et optimiste que je revins emmenager à Paris, dans mon nouveau très beau chez-moi, avec ma super nouvelle colloc' Caro. JOIE ! L'année fut globablement beaucoup plus épanouissante. Ma conscience s'évéillant doucement, les dégâts de la dépression devinrent de plus en plus visibles. D'abord parce que Caro le voyait, et m'aimant comme un frère (je ne la remercierais jamais assez), en souffrait aussi, et ensuite parce que moi, à la longue, je n'en pouvais plus. Ca empoisonnait mes nouvelles relations amoureuses, par exemple. Je consultais la psy, je cherchais une issue. Finalement, à l'issue d'une nouvelle escapade à Berlin, je compris qu'entreprendre quelque chose pour moi, et délaisser tout ce Paris, de toute façon devenue hors de prix, et théâtre de la dépression, serait une solution : je décidais de déménager dans la ville Allemande. Pour ce faire, je réussis à convaincre deux de mes meilleurs amis : Thomas, ami d'enfance, franco-allemand, fraîchement divorcé et motivé par un changement d'air, et le jeune François, de bonne éducation, désireux aussi de créer son propre destin dans ce que nous considérions à l'époque, culturellement parlant, comme la New York de l'Europe. 

Après des missions de repérages, nous remplîmes un camion de nos affaires et foncèrent vers Berlin pour y fonder une collocation à 3. Nous avions comme voisins et amis, aussi, notre base, l'Atelier Ü, notre deuxième maison. Période très heureuse : sans internet à la maison, j'ai redécouvert les joies de la vie en groupe, nous étions actifs dans l'association de l'atelier, chaque week-end, les fêtes, la nouveauté, c'était merveilleux. 

Les mois ont passé, j'étais toujours, dans le fond, dépressif, mais l'excitation et la beauté de cette nouvelle vie avait largement le dessus. Evidemment, j'avais quelques mauvaises descentes de speed, des problèmes financiers par manque de travail, mais j'avais fait le bon choix. Je rencontrais Sally, puis Sabine avec qui j'allais commencer cette grande relation. Mon père vint me rendre visite, et désireux de placer son argent pour payer moins d'impôts, mais aussi de faire un geste pour moi et ma vie d'artiste, m'interrogea sur le marché immobilier Berlinois, à l'époque de l'or en barre pour les investisseurs, et n'eut aucun mal à se convaincre de me faire un prêt pour acheter.

Cette période coïncida avec la fin de l'atelier Ü pour diverses raisons : lassitude de la fête permanente, problème de voisinages, mais surtout le pétage de plombs de son leader, Ludo, grand écorché vif aussi génial que paranoïaque et bipolaire, qui se mit littéralement tout le monde à dos et dû déguerpir. Moi, je cherchais une sécurité pour pratiquer mes activités, le boulot ne roulait pas fort et la collocation ne marchait plus : Thomas était parti car il ne supportait plus François et avait besoin de solitude, et le remplaçant de Thomas, un ami de François appellé Guy, m'envahissait, et j'avais déjà aussi envie de vivre seul.

J'achetais donc le dit appartement, non pas de manière précipitée, mais quand même un peu rapidement car pressé de partir, c'est à dire un bel et grand appartement, à un très bon prix, dans un quartier correct, dans un vieil immeuble dont je découvrirais un peu plus tard les défauts, mais cela n'alterera que peu la sensation de bien-être et de sécurité que me procurera le fait d'avoir mon propre chez-moi, enfin ... Après toutes ces années de galères. 

A l'heure où j'écris ces lignes, 4 ans ont passé et je suis encore dans mon appartement chéri. C'est dans cet appartement que j'ai fini par souffrir tellement que je fus obligé de soigner ma dépression. Je guéris à peu près en 2013, après avoir crevé les abcès, mais c'est une autre histoire. Concernant mes déplacements, je n'ai pas de conclusion particulière à y apporter pour l'instant, à part que je vais quitter mon appartement dans 15 jours, pour le louer à un couple de japonais adorables, pour moi-même repartir vers la France et l'inconnu, avec ma nouvelle copine enceinte de mes deux futurs enfants. Je suis content de partir car j'en ai assez de la ville, de mes voisins bruyants, de l'Allemagne, et que finalement, c'est pas si mal de changer d'air, de recommencer quelque chose. On peut toujours imaginer que ça sera mieux. Même si de manière réaliste, je conçois, avec les années, que ce n'est pas vraiment là que résident la paix et le bonheur... Mais un bon logement y contribue, c'est certain. Profitons juste des bouffées d'optimisme liées à la nouveauté et prions pour que je trouve un bon logement pour moi et ma famille dans notre nouvelle vie ! 

 

11 septembre 2014

#6 le premier baiser

Au lycée, on découvre le désir et l'amour. Pendant longtemps, on "aime" en secret. J'étais personnellement amoureux de presque toutes les filles de mon bahut. J'en avais evidemment des préférées, et souvent cela se jouait principalement à leur beauté - bien que cette notion de beauté fut toute personnelle. Je ne savais evidemment pas comment m'y prendre, et j'étais particulièrement timide et complexé, avec mon appareil dentaire, le corset (que je ne portais que sporadiquement) et mon acné sévère. Les années grunge battaient leur plein, je portais les cheveux mi-longs, des chemises à carreau et des jeans troués ...

Ma première approche de la gente féminine n'a partout pas eu lieu au lycée mais à Saint Nom la Bretèche, village de mon enfance, alors que je l'avais quitté depuis 4 ans, j'y suis revenu le temps d'un week-end, visiter Ludovic, un vieil ami. Ludo était le dernier d'une grande fratrie catholique pratiquante et était probablement le plus turbulent de la famille, et sans doute de mes amis aussi. Le reste de sa famille n'était pas là, nous avions la grande maison pour nous, ainsi que le reste du village, que je connaissais comme ma poche.

Ludo et son pote présent (un chouette type également) étaient alors, à 14 ans, des afficionados de la masturbation alors que je n'avais encore personnellement jamais pratiqué, par ignorance et un manque de curiosité à ce propos que je n'explique encore pas vraiment - j'étais pourtant, moi aussi, en proie au désir brûlant de ma sexualité naissante, et faute de pratique, j'étais sujet aux pollutions nocturnes, manifestant le bon fonctionnement de mon développement hormonal. Quoiqu'il en soit, Ludo et Max avaient l'habitude de se branler ensemble, ils trouvèrent donc naturel de me faire participer à une petite séance devant un film de cul : une version porno des 3 mousquetaires dans un style tout à fait 80s. Peut-être que mon attitude passive les a démotivé d'aller jusqu'au bout de leur branlette, quoiqu'il en soit l'activité fut ajournée, et c'est alors qu'une amie à eux, Delphine, nous a retrouvé. C'était une jolie fille, très cool, c'est à dire à la fois détendue et animée, amicale, une bonne "pote", châtain de chevelure, habillée de blanc, en tout cas dans mes souvenirs. Nous avions des kronembourgs, mais je ne savais pas boire suffisamment pour sentir quelque ivresse; cela importait peu, on se balladait, et dans les ruelles de ce village très calme, un peu champêtre, plutôt bourgeois, nous étions parfaitement tranquilles, on rigolait, on s'amusait, c'était simple et agréable.

A un moment donné, ils se sont mis à parler espagnol entre eux, et je ne pipais mot, mais j'ai commencé à croire qu'on parlait de moi. J'étais plutôt flatté et je forçais un peu sur ma naïveté (pourtant réelle) "quoi, qu'est ce que vous dites ?" tout en jubilant, même sans savoir de quoi ils parlaient, l'ambiance était telle qu'on ne pouvait pas imaginer quelque chose de négatif. Finalement le pote de Ludo m'a pris à part et m'a dit simplement que Delphine m'apréciait et voulait sortir avec moi. J'étais surpris mais j'acceptais complètement : les adultes m'avaient souvent considéré comme un "beau garçon", alors il me paraissait normal que mon tour arrive enfin. J'ai donc retrouvé Delphine qui attendait avec Ludo 4 ou 5 mètres plus loin à peine, et nous sommes allés nous embrasser sur le toit d'un bloc electrique. On s'est directement roulé une pelle, je me laissais bien evidemment guider, mais c'est plutôt facile à faire en vérité. Après, on a simplement passé la soirée à se tenir la main, à s'embrasser parfois, entre potes, et puis à la fin de la soirée elle nous a quitté, et je ne l'ai jamais revue. Je crois que j'ai pris son adresse, et si je lui ai écrit, ce dont je doute, elle ne m'a jamais répondu. Mais cela importait peu : j'avais plu et j'avais embrassé une fille, j'étais rassuré, j'en étais capable, c'était le début, et j'aurais en plus quelque chose à raconter aux potes sans avoir à mentir ... Du haut de mes 14 piges, j'étais fier, et heureux, transporté, amoureux, en quelque sorte, mais pas d'elle en particulier ....

Parfois je m'interroge encore sur cette fille qui a été dans ma vie comme une apparition furtive, qui est restée une inconnue pour toujours, car l'audace et la liberté dont elle a fait preuve ce jour là en disant "je veux sortir avec ce garçon" sont des forces dont je manque moi même encore parfois, vingt ans plus tard. J'ai également perdu tout contact avec Ludo peu de temps après, par simple oubli provoqué par la distance de ma ville d'alors, bien qu'il fût un de mes meilleurs amis depuis l'âge de 8 ans. 

 

 

11 septembre 2014

#5 le cannabis (2) : les douilles

Retourné à Epinal voir mes amis le temps d'un été, j'ai atteri chez Jerôme (Laurent m'avait chassé de chez lui, jaloux, car je sortais avec Bérangère) et Jérôme m'a initié au shoo-bang. Le shoo-bang, c'est l'étape supérieure de la défonce avec du cannabis. Lui et ses potes avaient ce bang en fonte, fabriqué avec des matériaux d'usine, décoré à l'aide de bandelettes vert-jaune-rouge, mais ce bang n'avait rien de peace, c'était une putain d'arme de guerre qui pesait une tonne. La douille était une sorte d'écrou en métal qu'on vissait sur le tube. Jerôme m'a préparé la douille et m'a expliqué qu'il fallait la prendre d'un seul coup : sans autre appel d'air, il fallait effectivement faire "tomber la douille" afin que toute la fumée puisse s'engouffrer dans les poumons. Il m'a allumé la douille, j'ai commencé à aspirer dans le tube, et rapidement, la fumée a rempli et brûlé mes poumons. J'allais m'en contenter mais la douille n'était pas tombée, et Jerôme criait "tire, allez, tire!", et sous ses ordres, j'ai continué à tirer, tirer, jusqu'à ce que la douille tombe, ainsi que moi, dans le fauteuil, avec les poumons qui littéralement saignaient en moi. La douleur était atroce, et j'ai commencé à décoller dans une défonce sans égal. Jérôme a aussi pris sa douille et nous sommes allés errer dans le quartier comme des zombis. 

C'était pour eux, et c'est devenu pour moi, un rituel. Mes poumons se sont endurcis et ont commencé à par supporter sans problème le traitement du shoo-bang. Pire : c'était même devenu un besoin, comme une deuxième respiration. Grâce à mes jobs d'été, j'avais de quoi me payer des 25g, que je portais negligemment dans la poche stylo de ma chemise en étant caissier au Carefour. Le patron a fini par faire une remarque sur mon air vaseux à la caisse.

De retour à Nancy, les habitudes de mes potes changèrent en même temps que les miennes, et nous étions quelques-uns à être passés aux douilles. L'activité de choix, c'était les jeux vidéos sur console, à plusieurs. Une autre époque bénie. 

Puis est arrivé le point où je prenais ma première douille au lever. Un rituel s'est installé : je me réveillais, j'allais pisser, pas de petit-déjeuner, je m'enfermais dans ma chambre. Je mettais un CD d'acid-core (je découvrais la techno) et je me préparais une douille dans mon Rokotok. Le Rokotok était un bang fabriqué dans un gros tuyau en PVC, et une tige en bambou. La douille : un bout de marqueur en fer classique (ils devenaient rares, mais c'était le top). Le bang était si gros que mes parents n'ont jamais soupçonné qu'il s'agissait d'une arme de défonce, ils pensaient que c'était une juste une merde de travaux publics que j'avais ramassé pour le style. Je prenais ma douille avec délice et recrachait une colonne de fumée par le velux. Parfois je vidais aussi l'eau noircie sur le toit. Et j'étais complètement défoncé en partant au bahut avec mon walkman - toujours de la techno. Une jouissance quotidienne, cette première douille.

Evidemment au bahut, ça allait très mal. Cancre parfait, j'étais blême, au fond de la classe, je dessinais dans mes marges en comatant. A midi j'étais exténué, c'était le moment d'aller fumer des joints (ou boire des bières) avec les copains pour tenir. Et dès que je rentrais à la maison, c'était douilles et jeux vidéos, jusqu'à ce que je me mette au dessin. Je ne pouvais pas dessiner sans être défoncé.

Je n'avais pas tant d'argent de poche que ça, mais le shit ne coûtait pas trop cher, j'achetais des barettes (100 francs) ou des deums (50 francs) et surtout les douilles c'était très économique, cela ne nécéssitais pas beaucoup de shit. L'effet comprenait aussi l'hyperventilation et le shoot de tabac. L'hyperventilation, c'est quand on arrête de respirer un moment, cela provoque un "flash" dans le cerveau. Et le tabac, c'est pareil, ça provoque un flash, qui fait partir l'effet planant du cannabis sur orbite. Je le sais car j'ai essayé des douilles sans tabac, le flash manquait. Et les douilles de tabac provoquent juste un flash désagréable, sans planer derrière. 

Garçons et filles douillaient. Les filles avaient des bangs mignons avec de la peluche autour. Les mecs étaient branchés challenge et extrêmes. L'été, nous habitions seuls dans les maisons de nos parents partis en vacances, et c'était en générale des orgies cannabiques d'une semaine. Il n'y avait plus de jour ni de nuit, je dormais l'après midi dans le salon au milieu des gens qui discutaient et je me sentais bien, comme un enfant dans un berceau. Un jour nous avons essayé de taper 100 douilles à 4, mais nous avons abandonné à 97. Nous organisions aussi ce qu'on appellait des "Ganja Party", lors desquelles on pouvait vomir.

Tout ce cannabis a problème joué sur les problèmes de concentration que j'avais en classe. J'étais un véritable cancre, personne ne doutait de mes capacités, mais mes cahiers étaient vides. 

Puis j'ai rencontré Lily et Clarisse. Lily tapait aussi des douilles, buvait, et prenait des antidépresseurs. J'avais 19 ans, elle 18. Au terme d'une histoire complexe et d'un triangle amoureux, nous avons obtenu notre bac ensemble. J'ai arrêté les douilles. Puis je suis parti à Paris.

- - - - - 

A Paris, après une pause d'un an sans douille, en manque d'amis, j'ai fini par rencontrer deux gars qui m'ont fait entrer dans leur cercle, et j'ai recommencé à douiller avec eux. Ils gagnaient bien leur vie et notre repère se trouvait dans un appartement sur l'île Saint Louis, un beau cadre pour planer. Ils avaient parfois du matos étrange extrêmement fort (coupé ?) qui m'a filé des hallucinations. Au bout d'une petite année à ce régime, l'un d'eux a commencé à avoir des bouffées délirantes graves - persuadé d'avoir violé, il voulait se foutre en l'air. Nous avons tous arrêté, je m'en suis tenu aux joints.

- - - - 

J'ai quand même tapé une dernière douille, des années plus tard, avec mon pote Laurent, par nostalgie. "Hé gros, tu te rapelles quand on prenait des douilles et qu'on jouait ensuite à Samuraï Shodown ? C'était morteeeeel !" J'avais peut-être 25 ans. Par ennui, cet été, nous avons confectionné un bang et tapé une douille pour retrouver notre jeunesse. On l'a vite regretté : l'effet était si fort que nous sommes partis en couille chacun de notre côté : moi sur le pas de son jardin, en train de bloquer sur les cris qu'il poussait, allongé sur son lit. Quand l'effet s'est dissipé une ou deux heures plus tard, j'ai retrouvé Laurent, en sueur, qui m'a dit "j'ai vu Dieu". Dieu lui avait dit "Laurent, tu dois arrêter", et Laurent, naïvement, avait répondu "arrêter quoi ?", et Dieu "tu sais très bien". A cette époque Laurent avait une grande collection de porno dans sa cheminée, et sur son ordinateur. A force d'explorer la pornographie il en était venu à découvrir le mot clé "lolita", qui lui retournait des photos de filles si jeunes qu'elles avaient l'air mineures, et ça devenait franchement douteux. Il m'a dit alors "efface tout le porno de mon ordinateur, gros". Je me suis fais une joie d'effacer absolument tous les .jpg et autres images de son disque dur, sans distinction, car il avait l'habitude d'en planquer un peu partout dans des dossiers. 

- - - -

Ensuite, j'ai continué de fumer toute ma vie mais je n'ai jamais eu envie de reprendre de douille. La douille est, pour moi, une autre drogue, une drogue de pauvre, beaucoup plus dure, et addictive, ce n'est plus du simple cannabis. C'est autre chose.

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11 septembre 2014

#4 le cannabis (1) : premiers spliffs

Parmi toutes les drogues que j'ai essayé, il n'y en a qu'une à laquelle je me suis vraiment accroché, et c'est la première que j'ai essayé, avant même l'alcool : le cannabis.

Tout a commencé à l'internat, à Epinal, quand mon père m'avait chassé de la maison. J'avais 15 ans, et j'étais un ado torturé typique, qu'aucune misère d'ado n'épargnait : appareil dentaire, une scoliose qui m'obligeait à porter un corset en plexiglas, et les hormones sexuelles torturaient nos âmes, si bien que chaque soir, dans la chambre de 5, ça se branlait discrètement sous les couettes. 

Mais à part ça, la vie à l'internat n'était pas horrible, car je m'y étais fait des amis. Il y avait les vrais amis, des mecs sensibles comme Rémi le hippie, et il y avait aussi ce que j'appellerais "les brigands qui me prenaient en affection". Peut-être était-ce de par mon caractère taciturne et docile, je passais pour un mec sympa sans être non plus un tendre, et je me liais facilement d'amitié avec des canailles, des mecs habitués à faire des conneries, à la violence, vantards, bagarreurs, bref, pas le genre d'ami que je souhaitais au fond, mais qu'il était bon d'avoir en allié - car souvent on était soit leur allié, soit leur ennemi. Le plus marrant, c'est que j'arrivais à sympathiser avec des voyous rivaux entre eux; bref j'étais en quelque sorte une des seules personnes "amie avec tout le monde" et sans qu'on ne me le reproche jamais. Contrairement à ce que j'aurais pu redouter, personne ne s'est moqué de mon corset en plexiglas à l'internat, et je n'ai jamais suscité la pitié pour autant. En somme, je me sentais bien intégré.

Au début de l'année, j'ai rencontré Pierre L., métis d'origine marocaine, très beau garçon qui avait naturellement énormément de succès avec les filles, intelligent, malin, et avec un solide sens de l'humour, ainsi que de la provocation; on ne pouvait pas le louper, ce mec brillait, suscitait l'énervement, la jalousie. De caractère indépendant, il la jouait clairement bad boy. J'admirais ses cheveux plaqués en arrière et son sweat-shirt à capuche sans manches Champions, j'en étais très jaloux et j'en ai fait mon modèle. En l'imitant, je me suis moi-même procuré un gros sweat à capuche blanc "Naughty by Nature" qu'il m'a également tout de suite envié (lui connaissait ce groupe de rap, alors que moi j'ignorais même que c'était un groupe), et il a proposé qu'on échange nos sweats pendant un temps. J'ai donc pu porter le fameux sweat Champions pendant quelques semaines, le seul, l'unique, celui de Pierre, mon nouveau dieu, et j'en tirais une fierté indécente. Je me sentais moi même un bad boy.

Pierre avait conscience de ma bleusaillerie, aussi un jour, au self, avec son bras droit, un mec blond plus âgé, il m'a demandé si je connaissais le shit. J'avais déjà entendu le mot "joint", je savais que c'était des cigarettes coniques qui faisaient planer, et que mes idoles du rock'n'roll devaient en fumer. J'étais très intéressé, mais je n'y connaissais rien. Il me montre alors une petite boulette noire, de la résine. C'est la première fois que je voyais ça et je me laissais guider. Il me l'a donnée et m'a expliqué grossièrement : "tu l'effrites dans le tabac de ta cigarette et tu le fumes". C'est allé assez vite. Il ne vendait pas de shit lui même et son geste était complètement désintéréssé, il ne s'agissait pas "d'une première dose gratuite afin de m'accrocher". Il souhaitait simplement faire mon éducation. Je suis rentré chez moi avec la boulette.

Comme tous les lycéens, je fumais du tabac, car à l'époque la cour du lycée était fumeur, et le premier réflexe d'un jeune ado soucieux de s'intégrer et d'avoir l'air cool était de s'y mettre. En revanche, je n'avais pas de papier à rouler. Le premier soir, j'ai donc évidé une cigarette, laborieusement gratté la boulette de résine pour en faire des petits copeaux et que j'ai mélangé au tabac et maladroitement réinséré dans le tube. J'ai fumé le tout. J'ai eu l'impression de sentir vaguement quelque chose, mais je crois que je n'ai eu aucun effet réel. Cependant, j'étais tellement content de faire un truc interdit et surtout, d'être initié.

Initié, j'ai pu savoir de quoi parlaient les autres consommateurs. J'ai peu après eu ma première vraie expérience, un soir, avec de nouveaux amis, plus âgés, défoncés assis en cercle dans le studio de Laurent (le seul mec majeur, qui habitait sans ses parents), avec pour seule lumière les lampadaires de la rue et la lune, en proie à des fous-rires interminables qui faisaient de ce moment du bonheur à l'état pur. (Et puis il y avait cette fille que je kiffais, Bérangère)

J'ai commencé à m'en procurer de temps en temps, à traîner avec les fumeurs du lycée, qui se réunissaient en bande du temps de midi pour faire tourner des gros joints en cercle sous un pont. Ca restait des moments exceptionnels et magiques, une journée avec du shit était une journée bénie des dieux. Je planais, partais dans mon monde, dans mes dessins, et les heures de classe passaient plus vite. 

Quand mon père nous a fait déménager à Nancy, j'ai perdu tous ces amis que j'avais eu tant de mal à me faire, et j'étais désabusé, j'avais la haine, je voulais juste faire le con. Là, en première au Lycée Poincaré, j'ai rencontré toute une bande de bédaveurs. Je crois vraiment que notre classe était gratinée pour ça, et une semaine après la rentrée, un rituel s'est installé : nous allions chez moi le temps de midi, car j'habitais non loin du bahut et disposait d'une chambre dans les combles. Nous fumions le plus possible, de toutes les manières possibles : soufflettes, moustache, tulipe, dépression crémeuse, douilles, pipes, chilom, mais aussi ingestion. Le teint livide et les yeux rouges au fond de la classe, à ricaner bêtement. Autant dire que nous étions défoncé tous les jours. C'était une bonne époque. Nous fumions partout : dans les rues, au parc, dans la forêt, à l'école. L'été, l'hiver, sans distinction. Emmitoufflés dans nos manteaux d'hiver, le nez rougeot par le froid, la fumée odorante du charasse mêlée à la vapeur de nos respirations reste un de mes souvenirs les plus réconfortant.

 

10 septembre 2014

#3 le meurtre (raté) de mon père

Peu avant l'internat, vers 15 ou 16 ans, j'étais tellement torturé et en guerre avec mon père, que j'ai voulu me procurer une arme à feu pour me défendre contre lui (encouragé par Kurt Cobain et la fascination des armes à feu que son suicide avait créé chez les ados en mal-être de mon espèce). Je voulais un fusil à pompe comme dans les jeux vidéos, et je m'imaginais tirer des cartouches contre les arbres dans la forêt. Je voulais me sentir puissant, invincible. J'ai aussi imaginé avoir une grenade et la lancer sur sa voiture quand elle rentrait dans l'allée. J'étais fou de rage, il m'envahissait.

Un filou au bahut m'a dit pouvoir me procurer un pistolet pour une somme de 800 francs (120 euros environ). Ce n'était pas un fusil à pompe mais c'était peut-être plus réaliste, après tout.

Mes grands-parents maternels m'avaient donné un peu d'argent sur un compte bloqué à la poste, et pour le récupérer, j'ai fait croire à ma mère que j'avais une dette de drogue, alors que je n'avais encore jamais touché ni même imaginé prendre de la drogue. Ma mère, en bonne pâte, a tout cru à mon histoire, et le lendemain elle m'a donné l'argent dans enveloppe, avec une lettre adressée au dealer, en me disant "donne lui ça au moins, c'est pas bien ce qu'il fait". J'ai sans doute hésité entre rire et pleurer. 

Au bahut, j'ai donné l'argent au filou du bahut, et il m'a dit qu'il verrait ce week-end.

Le lundi, il est revenu et il m'a dit qu'il était désolé mais qu'il n'avait pas pu obtenir l'arme, mais qu'il avait ponctionné mon argent de 200 francs pour rembourser le trajet en train que cela lui avait nécéssité pour essayer. Il va sans dire qu'il est plus que probable qu'il m'ait simplement enculé et qu'il n'ai jamais eu de plan ou l'intention de me fournir une arme. Et sur le coup, j'ai été plutôt rassuré : pas d'arme, pas de danger, et en plus, j'étais quand même riche de 600 francs.

J'ai acheté des CD de Radiohead et les baskets trop cool d'un pote.

Plus tard, lors d'une dispute violente à la maison, j'ai crié à mon père que j'avais essayé d'acheter une arme pour le tuer. Il a crisé et je me rapelle de lui se tapant le crâne (qu'il avait déjà chauve) sur la porte, tout rouge, en gémissant "mon fils veut me tuer". Ma mère, la pauvre, était là aussi.

Ce n'est que beaucoup plus tard, adulte, que j'ai avoué à ma mère que cette histoire était fausse. Elle n'a pas trop su quoi dire, moi j'en rigolais.

Je ne crois pas l'avoir raconté à mon père.

Plus tard, vers 17 ou 18 ans, je cacherais une barre de fer sous mon lit - au cas où ça tournerait mal avec lui. Pourtant mon père n'a jamais levé le petit doigt sur moi. Je savais qu'il m'aimait. Il n'était pas chaotique ou égoïste. Je savais qu'il agissait comme ça pour "mon bien". Mais il ne laissait aucun interstice quand il entrait dans la pièce. Il était psychologiquement écrasant. Il avait une grosse voix et un air dur, déterminé. Parfois seule la violence me paraissait encore une issue. Heureusement, je ne me suis jamais servi de cette barre. 

 

 

10 septembre 2014

#2 Joehnny Dipe

J'ai eu une enfance à peu près normale, comme tout le monde, dans une famille composée de deux parents, d'une petite soeur et plus tard d'un petit frère. Nous étions une famille dite nombreuse pour les aides sociales. Nous ne manquions pas d'argent : mon père, sorti d'école de commerce, était un bourreau du travail, qui gravissait les échelons de son univers d'entreprise, changeant de boîte de-ci, de-là, enchaînant les promotions et nouveaux postes, et nous, les logements, toujours plus grands, depuis les immeubles de la banlieue parisienne jusqu'au pavillon dans les vosges, près de son usine. J'ai personnellement développé une haine (ou une peur) de cet univers assez jeune. Mon père s'absentait souvent, et quand il rentrait c'était toujours très tard. Il y avait le week-end où il mettait un polo ou un t-shirt au lieu de son costume, et il prenait tout un tas de directives pénibles pour moi, comme aller visiter tel musée, ou faire telle ballade en vélo. Directeur dans son boulot, directeur également à la maison, mais ça, seulement quand il était présent.

Son père a lui l'avait plus ou moins abandonné, sans disparaître, il avait simplement décidé de ne pas s'en occuper, et de laisser sa femme, viet-namienne, et ses trois enfants (mon père et ses petites soeurs) se débrouiller seuls. De plus, le métissage de mon père lui a valu des railleries à l'école. Il était blessé, et sa réussite professionnelle ressemblait aussi à une vengance. Il me mettait la pression pour que je suive ses pas : il grognait quand je n'étais "que" le troisième en classe, m'obligeait à faire toutes sortes de sports que je ne voulais pas faire. Un jour, que je lui tenais tête (j'avais moins de 10 ans), il m'a dit "ferme-la, quand tu gagneras ta propre tune, tu pourras la ramener."

A côté de cela, il serait injuste de réduire mon père à son emploi de dirigeant. Il était affectueux et d'une générosité sans limite. C'est simplement qu'on ne pouvait pas discuter avec lui.

Il n'était pas encore réconcilié avec son père quand il est mort. Ce jour là, mon père est arrivé dans l'escalier de notre maison à Epinal et m'a dit "je suis très triste car mon père vient de mourir". Je devais avoir 10 ou 11 ans et je lui ai répondu "mais papa, pourquoi tu es triste vu que tu ne l'aimais pas ?" Je ne comprenais pas, à l'époque.

De l'autre côté, ma mère, issue d'une modeste famille de fonctionnaires du nord de la france, n'avait aucune autorité à la maison, elle était plutôt naïve, tendre, et m'a toujours donné l'impression de faire les choses automatiquement, comme si elle ne se posait aucune question, qu'elle faisait juste les choses "comme il faut". Peut-être que c'est son éducation dans une école de fille lui a si bien incrusté dans le crâne ces façons "comme il faut". Plus tard, adolescent, je la traiterais de "robot" quand, rebelle, je serais écoeuré de sa manière d'agir si convenue, et par son incapacité à expliquer les choses. La simplicité et autres manières instinctives d'agir de ma mère ont d'ailleurs souvent été méprisés par ma grand-mère viet-namienne, intelectuelle.

Je ne me rappelle que d'un seul baiser entre elle et mon père, un jour dans la cuisine, pour son anniversaire, mon père lui a fait un cadeau et voulu l'embrasser sur la bouche comme le ferait un amoureux (sans chercher à la galocher non plus), et elle a simplement tendu les lèvres, toute raide, comme un piquet, comme un baiser obligatoire qu'elle voulait surtout le moins mouillé et le moins long possible. Peut-être qu'elle était gênée de le faire devant les enfants, mais l'absence de gestes affectueux dans sa vie, étrangère aux caresses et aux câlins, j'ai fini, en comparaison à mon père qui ne tarissait pas de baisers pour nous, par la trouver un peu froide.

Nonobstant, c'est bien sa défense à elle que je prenais lorsque ça a commencé à sentir le roussi entre eux. Il faut dire que mon père avait tout du méchant : grosse voix, autorité, force, tandis que ma mère, docile, sans résistance, accablée, était une victime toute désignée. 

L'adolescence a commencé à cogner dur sur moi : mal-être, échec scolaire soudain, déménagements forcés, un père de plus en plus dur et de plus en plus absent, une mère qui lutte avec des préados et un jeune enfant de 5 ans, mon petit frère, seule dans une ville inconnue de l'est de la france. Les hivers étaient sombres. Les étés tristes. Je vivais de plus en plus dans ma bulle. Les jeux vidéos et le heavy-metal des exutoires. 

Ma mère, de plus en plus malheureuse, a fini par me pleurer un jour dans les bras. J'avais 13 ans.

Les années allant, tout s'empirait entre mon père et moi. Le point d'orgue fut sans doute l'année de mes 16 ans, nous ne supportions tellement plus qu'il a tenter de me faire recadrer en m'envoyant à l'internat. J'étais sans doute l'élève de l'internat dont le rejet des parents était le plus flagrant car j'habitais la même ville, tandis que les autres élèves venaient quand même de villes lointaines. Mais j'étais content de ne pas être à la maison.

Je suis revenu de l'internat après que mes parents ont entendu des histoires de drogue et de couteaux. 

Ma mère a fini par ne plus vouloir dormir avec mon père - notre famille nombreuse disposant de deux appartements dans le même immeuble pour héberger tout le monde, ma mère est venue habiter avec les enfants, en haut, tandis que mon père vivait seul avec le chien, en bas, quand il était là. Le reste du temps, le chien restait seul et malheureux.

J'ai été le dernier de la famille à apprendre, vers 18 ans, que mon père avait une maîtresse depuis des années. Même mon petit frère de 10 ans alors fut au courant avant moi, et pour la simple raison que mes parents avaient très peur de ma réaction - et pour cause. Mais au fond, cela m'a soulagé : enfin je comprenais ce qui n'allait pas dans cette famille. Enfin je comprenais l'absence de mon père, l'angoisse de ma mère, et pourquoi je me sentais si déboussolé dans cet univers. 

J'ai eu mon bac (avec pas mal de retard), et je me suis tiré loin de tout ça pour faire des études à Paris.

Payant mes études, mon père a continué, plus sporadiquement, a vouloir exercer une autorité toute puissante sur ma carrière, voulant me placer dans la boîte de tel ou tel ami pour des stages, ce qui s'est rapidement affirmé comme absurde, ces derniers acceptant par politesse mais n'ayant jamais de travail réel pour moi. J'ai commencé par esquiver sournoisement (j'ai fait croire, une fois, que j'avais chopé la mononucléose pour raccourcir le stage) et puis au final, un jour, j'ai opposé frontalement mon refus, ayant une bonne excuse (j'avais trouvé un autre travail) et prêt à subir son courroux et la coupure des vivres qui allait avec. Mon père a explosé de fureur, ma mère est intervenue et l'a raisonné. J'ai pu finir les études qu'il me payait malgré tout. 

Moi qui avait été un cancre pendant tout le lycée, à présent je savais qu'il ne fallait surtout pas gâcher cette chance fragile de pouvoir obtenir un diplôme. 

Alors enfin je me suis mis à gagner ma tune, et nous avons fait la paix.

Mon père s'est remarié vers 50 ans avec sa maîtresse d'alors, qui est très gentille fait donc maintenant partie de la famille. De mon côté, je n'ai pas gardé rancune. Mes parents n'allaient pas très bien ensemble, au fond, même si le jour où mon père me l'a dit, j'étais en dépression, et cela m'a fait très mal de savoir que j'étais le fruit d'une union erronée. 

Ma mère a eu quelques compagnons mais cela n'a jamais duré. Sa pudeur a aussi fait qu'elle mettait en général un an avant de me le dire, alors, il se peut que j'ignore pas mal de choses aussi. 

Ma grand-mère vietnamienne est la seule qui est encore en vie.

 

 

 

 

10 septembre 2014

#1 Mon rapport à la drogue dans la 20aine

Vers 20 ans, en arrivant à la capitale, j'ai commencé à me fasciner pour la drogue. J'entendais parler de ceux qui prenaient des extas, des acides, de l'héroïne ... Je voulais essayer tout ça, j'en crevais d'envie. Mais fraîchement débarqué dans la capitale, d'un naturel timide et peu sociable, j'avais du mal à me faire des contacts, trouver des dealers, comme ça. Je fumais déjà de l'herbe depuis quelques années, parfois je me saoulais, mais c'était le mystère et les extrêmes qui m'attiraient. L'interdiction aussi, peut-être, qui sait. Ou simplement le fait que ça avait l'air d'être "le top". Je me voyais bien héroïnomane par exemple ... Me shooter chez moi et vivre dans des rêves. Ce continent m'avait l'air plus beau que la réalité. Pourtant j'en savais rien. En attendant, je n'avais qu'internet pour me documenter. Ca m'intéressait encore plus que l'amour et le sexe. Je lisais témoignages et informations, c'est comme ça que je suis tombé sur un site rempli d'histoires sur le crack à Paris, la scène de Stalingrad, la vie parallèle des fous qui consommaient. Je voulais en être. J'essayais de me défoncer avec des trucs en vente libre à la pharmacie mais evidemment ça ne donnait rien. 

Finalement un jour j'ai rencontré un fille à l'école, et elle connaissait tout ça parce qu'elle allait en teuf. Ancienne héroïnomane aussi. Laure. On a commencé à sortir ensemble. J'avais déjà une copine, mais elle était à Bruxelles, et Laure c'était mon sésame vers une nouvelle vie. 

Laure m'a présenté ses amis et m'ont emmené au Gibus, j'ai acheté mon premier exta à une petite meuf rasée devant la boîte, qui me disait de faire vite car les flics tournaient, son pote venait de se faire embarquer. Je ne comprenais pas pourquoi elle continuait à vendre dans ce danger. Quoi qu'il en soit la nuit a été magique. On écoutait du hardcore, qui était une musique chiante mais rebelle. La lumière était rouge. Les gens portaient des casquettes avec des piercings dedans. Je planais dans la douceur extrême du cachet de MDMA. Je n'arrivais plus à parler. J'en n'avais pas besoin. A cette époque, je ne ressentais pas les descentes, qui n'étaient qu'amour entre moi et Laure.

Plus tard, on a rejoint une association de prévention , qui était en fait tout autant un club d'initiation à la drogue, composé de gens sympas qui sont devenus mes amis. Là, de teuf en teuf, j'ai découvert un peu tout : LSD, coke, ketamine, speed, mais aussi des trucs plus exotiques style Salvia, Ephedra ..

Jennifer, ma copine Bruxelloise, a été dévastée quand je l'ai quitté brutalement. Elle a débarqué à Paris un soir, elle est venue sonner à ma porte. Je n'ai pas pu la laisser entrer car Laure était dans mon studio, nous étions en train de taper de la coke. Quand j'ai refermé la porte, Laure avait terminé la coke toute seule et elle tremblait car elle avait eu peur. Jennifer a passé la nuit seule, dehors. Je me suis senti bien merdique, mais je ne vois pas ce que j'aurais pu faire d'autre ce jour là.

Cette angoisse de la drogue, ou plutôt de ne pas en avoir, m'a suivi un moment. Je rêvais de drogue la nuit. Je rêvais de cachets d'extas, de poudre blanche ... Je jalousais fortemment ceux qui en prenaient sans moi, et que ma copine se défonce sans moi équivalait quasiment à l'adultère. J'ai encore du mal à expliquer cela. Mais petit à petit le mystère et la magie s'est quand même dissipé, et surtout j'ai commencé à vivre de mauvaises descentes, à avoir quelques frayeurs. J'ai aussi vu mes amis se déchirer ou se détruire avec ces produits. Ca m'a rendu un peu plus prudent. Mais je gardais un rapport de nécéssité rapports aux drogues.

Puis je me suis approprié le LSD. Le LSD était une drogue de choix. J'avais lu tellement de choses sur les 70s, l'expérience psychédélique, la synesthésie, la révolution intérieure. Ca avait l'air trop fou pour être vrai, mais pourtant tout le monde le disait : ça existe. Le LSD semblait être la seule vraie drogue mystique, à la fois la plus puissante et la plus enrichissante. D'abord, elle fut inaccessible pour moi. J'ai eu du mal à faire une bonne expérience , tant les péqueneaux vendaient de la merde éventée en teuf.  Et puis un jour je suis tombé sur un chapelier fou, c'était dans l'ancien parc de Mirapolis. J'ai acheté 3 trips et j'ai mangé les trois. Par (mal)chance, ils étaient bons. Il va sans dire que j'ai fait le voyage de ma vie. Ceux qui connaissent comprendront ... Mais c'était merveilleux. Je ne pourrais jamais revivre un trip aussi puissant, car rien ne peut égaler une première expérience, et surtout je ne serais plus jamais assez fou ou inconscient pour prendre trois trips d'un coup. Je suis resté perché une bonne semaine, lors de laquelle régulièrement ma chair "fusionnait" littéralement : il suffisait que je m'assoupisse un peu pour avoir l'impression que mon bras et ma jambe ne faisaient plus qu'un. A l'époque, ignorant, et désireux d'être "ailleurs", cela m'amusait. Et puis en reprenant des doses plus légères de LSD, cette sensation a fini par partir. Mais j'avais décidé que c'était la meilleure drogue : la plus puissante, et la plus honnête. Par contre Laure m'a largué.

Plus tard, j'ai décidé de refourger des acides, comme un missionnaire. Je ne me faisais même pas d'argent car j'achetais ça cher, comme un bolosse. C'était un prétexte pour fréquenter un grossiste et en avoir toujours plein les poches. Mon dealer était une vieille teufeuse boîteuse habillée en  kaki appellé Valou, elle habitait dans une tour HLM dans le 19ème. C'était le petit rituel : je prenais l'ascenceur déglingué et là, dans son salon, avec son mec, plus jeune, en général suant comme s'il était en descente permanente, la vieille Valou, avec sa béquille, me faisait des plaques de 10, 20 acides, avec des promos ridicules genre 2 ou 3 offerts. Elle m'expliquait qu'il fallait bien les emballer dans du celophane, avec plein de couches. Elle avait un fils qui avait environ 6 ans de moins que moi. Je me sentais plus proche de lui que d'elle. Il avait l'air normal, ce qui ne devait pas être évident en ayant une mère infirme et dealeuse. Surement qu'au fond il ne l'était pas. Les acides de Valou étaient très bons, c'est pour ça que je revenais. Ca me donnait un peu de popularité aussi. Et j'en prenais souvent, presque chaque semaine. Même pour aller boire un coup le jeudi soir à une terasse, je pouvais prendre un quart ou un demi acide. Ca suffisait à me défoncer complètement. Je sentais l'effet monter dans le métro. Je le sentais dans ma peau, dans ma respiration, comme si mes molecules se mettaient à vibrer ... Puis j'avais envie de rire. Je me sentais bien quand le LSD m'enveloppait et déformait la réalité. Je me sentais plus en phase, plus clairvoyant, et surtout libéré. 

Et puis à force j'ai commencé à avoir des fins de trip difficile, mal au crâne, l'impression que mon cerveau fondait. Et surtout les trips à Valou ont commencé à devenir pas bons. J'ai fini par laisser tomber.

Mais dans le panthéon des drogues il restait un mystère : l'héroïne. Une drogue à laquelle je n'ai pas eu accès avant longtemps, et d'une certaine façon, cela valait sans doute mieux. Je ferais aussi l'expérience du crack, bien que ça ne m'ait jamais spécialement attiré ... 

 

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