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Crotte du morning
11 septembre 2014

#5 le cannabis (2) : les douilles

Retourné à Epinal voir mes amis le temps d'un été, j'ai atteri chez Jerôme (Laurent m'avait chassé de chez lui, jaloux, car je sortais avec Bérangère) et Jérôme m'a initié au shoo-bang. Le shoo-bang, c'est l'étape supérieure de la défonce avec du cannabis. Lui et ses potes avaient ce bang en fonte, fabriqué avec des matériaux d'usine, décoré à l'aide de bandelettes vert-jaune-rouge, mais ce bang n'avait rien de peace, c'était une putain d'arme de guerre qui pesait une tonne. La douille était une sorte d'écrou en métal qu'on vissait sur le tube. Jerôme m'a préparé la douille et m'a expliqué qu'il fallait la prendre d'un seul coup : sans autre appel d'air, il fallait effectivement faire "tomber la douille" afin que toute la fumée puisse s'engouffrer dans les poumons. Il m'a allumé la douille, j'ai commencé à aspirer dans le tube, et rapidement, la fumée a rempli et brûlé mes poumons. J'allais m'en contenter mais la douille n'était pas tombée, et Jerôme criait "tire, allez, tire!", et sous ses ordres, j'ai continué à tirer, tirer, jusqu'à ce que la douille tombe, ainsi que moi, dans le fauteuil, avec les poumons qui littéralement saignaient en moi. La douleur était atroce, et j'ai commencé à décoller dans une défonce sans égal. Jérôme a aussi pris sa douille et nous sommes allés errer dans le quartier comme des zombis. 

C'était pour eux, et c'est devenu pour moi, un rituel. Mes poumons se sont endurcis et ont commencé à par supporter sans problème le traitement du shoo-bang. Pire : c'était même devenu un besoin, comme une deuxième respiration. Grâce à mes jobs d'été, j'avais de quoi me payer des 25g, que je portais negligemment dans la poche stylo de ma chemise en étant caissier au Carefour. Le patron a fini par faire une remarque sur mon air vaseux à la caisse.

De retour à Nancy, les habitudes de mes potes changèrent en même temps que les miennes, et nous étions quelques-uns à être passés aux douilles. L'activité de choix, c'était les jeux vidéos sur console, à plusieurs. Une autre époque bénie. 

Puis est arrivé le point où je prenais ma première douille au lever. Un rituel s'est installé : je me réveillais, j'allais pisser, pas de petit-déjeuner, je m'enfermais dans ma chambre. Je mettais un CD d'acid-core (je découvrais la techno) et je me préparais une douille dans mon Rokotok. Le Rokotok était un bang fabriqué dans un gros tuyau en PVC, et une tige en bambou. La douille : un bout de marqueur en fer classique (ils devenaient rares, mais c'était le top). Le bang était si gros que mes parents n'ont jamais soupçonné qu'il s'agissait d'une arme de défonce, ils pensaient que c'était une juste une merde de travaux publics que j'avais ramassé pour le style. Je prenais ma douille avec délice et recrachait une colonne de fumée par le velux. Parfois je vidais aussi l'eau noircie sur le toit. Et j'étais complètement défoncé en partant au bahut avec mon walkman - toujours de la techno. Une jouissance quotidienne, cette première douille.

Evidemment au bahut, ça allait très mal. Cancre parfait, j'étais blême, au fond de la classe, je dessinais dans mes marges en comatant. A midi j'étais exténué, c'était le moment d'aller fumer des joints (ou boire des bières) avec les copains pour tenir. Et dès que je rentrais à la maison, c'était douilles et jeux vidéos, jusqu'à ce que je me mette au dessin. Je ne pouvais pas dessiner sans être défoncé.

Je n'avais pas tant d'argent de poche que ça, mais le shit ne coûtait pas trop cher, j'achetais des barettes (100 francs) ou des deums (50 francs) et surtout les douilles c'était très économique, cela ne nécéssitais pas beaucoup de shit. L'effet comprenait aussi l'hyperventilation et le shoot de tabac. L'hyperventilation, c'est quand on arrête de respirer un moment, cela provoque un "flash" dans le cerveau. Et le tabac, c'est pareil, ça provoque un flash, qui fait partir l'effet planant du cannabis sur orbite. Je le sais car j'ai essayé des douilles sans tabac, le flash manquait. Et les douilles de tabac provoquent juste un flash désagréable, sans planer derrière. 

Garçons et filles douillaient. Les filles avaient des bangs mignons avec de la peluche autour. Les mecs étaient branchés challenge et extrêmes. L'été, nous habitions seuls dans les maisons de nos parents partis en vacances, et c'était en générale des orgies cannabiques d'une semaine. Il n'y avait plus de jour ni de nuit, je dormais l'après midi dans le salon au milieu des gens qui discutaient et je me sentais bien, comme un enfant dans un berceau. Un jour nous avons essayé de taper 100 douilles à 4, mais nous avons abandonné à 97. Nous organisions aussi ce qu'on appellait des "Ganja Party", lors desquelles on pouvait vomir.

Tout ce cannabis a problème joué sur les problèmes de concentration que j'avais en classe. J'étais un véritable cancre, personne ne doutait de mes capacités, mais mes cahiers étaient vides. 

Puis j'ai rencontré Lily et Clarisse. Lily tapait aussi des douilles, buvait, et prenait des antidépresseurs. J'avais 19 ans, elle 18. Au terme d'une histoire complexe et d'un triangle amoureux, nous avons obtenu notre bac ensemble. J'ai arrêté les douilles. Puis je suis parti à Paris.

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A Paris, après une pause d'un an sans douille, en manque d'amis, j'ai fini par rencontrer deux gars qui m'ont fait entrer dans leur cercle, et j'ai recommencé à douiller avec eux. Ils gagnaient bien leur vie et notre repère se trouvait dans un appartement sur l'île Saint Louis, un beau cadre pour planer. Ils avaient parfois du matos étrange extrêmement fort (coupé ?) qui m'a filé des hallucinations. Au bout d'une petite année à ce régime, l'un d'eux a commencé à avoir des bouffées délirantes graves - persuadé d'avoir violé, il voulait se foutre en l'air. Nous avons tous arrêté, je m'en suis tenu aux joints.

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J'ai quand même tapé une dernière douille, des années plus tard, avec mon pote Laurent, par nostalgie. "Hé gros, tu te rapelles quand on prenait des douilles et qu'on jouait ensuite à Samuraï Shodown ? C'était morteeeeel !" J'avais peut-être 25 ans. Par ennui, cet été, nous avons confectionné un bang et tapé une douille pour retrouver notre jeunesse. On l'a vite regretté : l'effet était si fort que nous sommes partis en couille chacun de notre côté : moi sur le pas de son jardin, en train de bloquer sur les cris qu'il poussait, allongé sur son lit. Quand l'effet s'est dissipé une ou deux heures plus tard, j'ai retrouvé Laurent, en sueur, qui m'a dit "j'ai vu Dieu". Dieu lui avait dit "Laurent, tu dois arrêter", et Laurent, naïvement, avait répondu "arrêter quoi ?", et Dieu "tu sais très bien". A cette époque Laurent avait une grande collection de porno dans sa cheminée, et sur son ordinateur. A force d'explorer la pornographie il en était venu à découvrir le mot clé "lolita", qui lui retournait des photos de filles si jeunes qu'elles avaient l'air mineures, et ça devenait franchement douteux. Il m'a dit alors "efface tout le porno de mon ordinateur, gros". Je me suis fais une joie d'effacer absolument tous les .jpg et autres images de son disque dur, sans distinction, car il avait l'habitude d'en planquer un peu partout dans des dossiers. 

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Ensuite, j'ai continué de fumer toute ma vie mais je n'ai jamais eu envie de reprendre de douille. La douille est, pour moi, une autre drogue, une drogue de pauvre, beaucoup plus dure, et addictive, ce n'est plus du simple cannabis. C'est autre chose.

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