Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Crotte du morning
11 septembre 2014

#4 le cannabis (1) : premiers spliffs

Parmi toutes les drogues que j'ai essayé, il n'y en a qu'une à laquelle je me suis vraiment accroché, et c'est la première que j'ai essayé, avant même l'alcool : le cannabis.

Tout a commencé à l'internat, à Epinal, quand mon père m'avait chassé de la maison. J'avais 15 ans, et j'étais un ado torturé typique, qu'aucune misère d'ado n'épargnait : appareil dentaire, une scoliose qui m'obligeait à porter un corset en plexiglas, et les hormones sexuelles torturaient nos âmes, si bien que chaque soir, dans la chambre de 5, ça se branlait discrètement sous les couettes. 

Mais à part ça, la vie à l'internat n'était pas horrible, car je m'y étais fait des amis. Il y avait les vrais amis, des mecs sensibles comme Rémi le hippie, et il y avait aussi ce que j'appellerais "les brigands qui me prenaient en affection". Peut-être était-ce de par mon caractère taciturne et docile, je passais pour un mec sympa sans être non plus un tendre, et je me liais facilement d'amitié avec des canailles, des mecs habitués à faire des conneries, à la violence, vantards, bagarreurs, bref, pas le genre d'ami que je souhaitais au fond, mais qu'il était bon d'avoir en allié - car souvent on était soit leur allié, soit leur ennemi. Le plus marrant, c'est que j'arrivais à sympathiser avec des voyous rivaux entre eux; bref j'étais en quelque sorte une des seules personnes "amie avec tout le monde" et sans qu'on ne me le reproche jamais. Contrairement à ce que j'aurais pu redouter, personne ne s'est moqué de mon corset en plexiglas à l'internat, et je n'ai jamais suscité la pitié pour autant. En somme, je me sentais bien intégré.

Au début de l'année, j'ai rencontré Pierre L., métis d'origine marocaine, très beau garçon qui avait naturellement énormément de succès avec les filles, intelligent, malin, et avec un solide sens de l'humour, ainsi que de la provocation; on ne pouvait pas le louper, ce mec brillait, suscitait l'énervement, la jalousie. De caractère indépendant, il la jouait clairement bad boy. J'admirais ses cheveux plaqués en arrière et son sweat-shirt à capuche sans manches Champions, j'en étais très jaloux et j'en ai fait mon modèle. En l'imitant, je me suis moi-même procuré un gros sweat à capuche blanc "Naughty by Nature" qu'il m'a également tout de suite envié (lui connaissait ce groupe de rap, alors que moi j'ignorais même que c'était un groupe), et il a proposé qu'on échange nos sweats pendant un temps. J'ai donc pu porter le fameux sweat Champions pendant quelques semaines, le seul, l'unique, celui de Pierre, mon nouveau dieu, et j'en tirais une fierté indécente. Je me sentais moi même un bad boy.

Pierre avait conscience de ma bleusaillerie, aussi un jour, au self, avec son bras droit, un mec blond plus âgé, il m'a demandé si je connaissais le shit. J'avais déjà entendu le mot "joint", je savais que c'était des cigarettes coniques qui faisaient planer, et que mes idoles du rock'n'roll devaient en fumer. J'étais très intéressé, mais je n'y connaissais rien. Il me montre alors une petite boulette noire, de la résine. C'est la première fois que je voyais ça et je me laissais guider. Il me l'a donnée et m'a expliqué grossièrement : "tu l'effrites dans le tabac de ta cigarette et tu le fumes". C'est allé assez vite. Il ne vendait pas de shit lui même et son geste était complètement désintéréssé, il ne s'agissait pas "d'une première dose gratuite afin de m'accrocher". Il souhaitait simplement faire mon éducation. Je suis rentré chez moi avec la boulette.

Comme tous les lycéens, je fumais du tabac, car à l'époque la cour du lycée était fumeur, et le premier réflexe d'un jeune ado soucieux de s'intégrer et d'avoir l'air cool était de s'y mettre. En revanche, je n'avais pas de papier à rouler. Le premier soir, j'ai donc évidé une cigarette, laborieusement gratté la boulette de résine pour en faire des petits copeaux et que j'ai mélangé au tabac et maladroitement réinséré dans le tube. J'ai fumé le tout. J'ai eu l'impression de sentir vaguement quelque chose, mais je crois que je n'ai eu aucun effet réel. Cependant, j'étais tellement content de faire un truc interdit et surtout, d'être initié.

Initié, j'ai pu savoir de quoi parlaient les autres consommateurs. J'ai peu après eu ma première vraie expérience, un soir, avec de nouveaux amis, plus âgés, défoncés assis en cercle dans le studio de Laurent (le seul mec majeur, qui habitait sans ses parents), avec pour seule lumière les lampadaires de la rue et la lune, en proie à des fous-rires interminables qui faisaient de ce moment du bonheur à l'état pur. (Et puis il y avait cette fille que je kiffais, Bérangère)

J'ai commencé à m'en procurer de temps en temps, à traîner avec les fumeurs du lycée, qui se réunissaient en bande du temps de midi pour faire tourner des gros joints en cercle sous un pont. Ca restait des moments exceptionnels et magiques, une journée avec du shit était une journée bénie des dieux. Je planais, partais dans mon monde, dans mes dessins, et les heures de classe passaient plus vite. 

Quand mon père nous a fait déménager à Nancy, j'ai perdu tous ces amis que j'avais eu tant de mal à me faire, et j'étais désabusé, j'avais la haine, je voulais juste faire le con. Là, en première au Lycée Poincaré, j'ai rencontré toute une bande de bédaveurs. Je crois vraiment que notre classe était gratinée pour ça, et une semaine après la rentrée, un rituel s'est installé : nous allions chez moi le temps de midi, car j'habitais non loin du bahut et disposait d'une chambre dans les combles. Nous fumions le plus possible, de toutes les manières possibles : soufflettes, moustache, tulipe, dépression crémeuse, douilles, pipes, chilom, mais aussi ingestion. Le teint livide et les yeux rouges au fond de la classe, à ricaner bêtement. Autant dire que nous étions défoncé tous les jours. C'était une bonne époque. Nous fumions partout : dans les rues, au parc, dans la forêt, à l'école. L'été, l'hiver, sans distinction. Emmitoufflés dans nos manteaux d'hiver, le nez rougeot par le froid, la fumée odorante du charasse mêlée à la vapeur de nos respirations reste un de mes souvenirs les plus réconfortant.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité